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BARNABÉ RUDGE

courtisant l’été, au soleil, et s’attardant avec l’hiver, à l’ombre. Bref, c’était par une de ces matinées où le temps est, dans le court espace d’une heure, chaud et froid, humide et sec, clair et sombre, triste et gai, désenchanteur et réconfortant, que John Willet, qui s’endormait tout doucement auprès du chaudron de cuivre, fut réveillé par le bruit des pas d’un cheval, et que, donnant un coup d’œil à la fenêtre, il aperçut un voyageur de belle apparence s’arrêter à la porte du Maypole.

Ce n’était pas un de vos jeunes gens dégagés qui demanderaient un pot d’ale épicée, et se mettraient tout aussi à leur aise que s’ils se faisaient servir un muid de vin ; un de vos jeunes casseurs d’assiettes qui ne respectent rien, et qui pénétreraient même dans le comptoir, ce solennel sanctuaire, pour donner au vieux John une tape sur le ventre, et s’informer s’il n’y aurait pas quelque jolie fille dans la maison, où c’est qu’il cache ses petites chambrières, avec cent autres impertinences de ce genre ; un M. Sans-Gêne qui décrotterait ses bottes sur les chenets dans la salle commune, et ne se montrerait pas difficile pour trouver les crachoirs ; un de vos jeunes fous qui s’en viennent exiger des côtelettes impossibles, et commander des sauces qu’on n’a jamais vues ni connues. C’était un gentleman rassis, grave, tranquille, un peu au delà du printemps de la vie, se tenant droit encore, malgré cela, et mince comme un lévrier. Bien monté sur un double poney alezan, il avait l’assiette gracieuse d’un cavalier expérimenté ; quant à son équipement, quoique exempt des affectations alors en vogue, il était beau et bien choisi. Il portait une redingote d’un vert plus clair peut-être qu’on ne s’y serait attendu de la part d’un monsieur de son âge, avec un petit collet de velours noir, poches et parements garnis, le tout d’une façon élégante ; son linge, aussi, était de fine étoffe, travaillé sur un riche dessin aux poignets et aux devants, et d’une blancheur irréprochable. Quoiqu’il semblât, à en juger d’après la boue qu’il avait ramassée sur la route, venir de Londres, son cheval n’était pas moins lisse ni moins frais que la perruque gris de fer et la queue de son maître. Ni l’homme ni l’animal n’avaient un poil de dérangé ; et, sauf les taches de ses basques et de ses guêtres, ce monsieur, avec sa figure