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OÙ LE POLICIER WAPWI PROUVE QU’IL A DU NEZ

– Le bon Dieu a donné aux sauvages des yeux de chat et des oreilles de lièvre.

– Puisses-tu ne pas t’être trompé !… Mais, en admettant que c’était réellement mon pauvre frère qui se tenait cramponné au dernier piton de l’îlot, a-t-il pu saisir le chaland que tu avais si courageusement dirigé sur lui ?

– Ah ! voilà !… fit soucieusement l’enfant… Le Grand Manitou des blancs seul pourrait le dire !

– Tu n’as pu voir ?…

– Pauvre Wapwi ! fit le petit sauvage d’un ton piteux, il était bien fatigué, et une grosse vague l’a emporté… Elle est méchante la mer !

– Oh ! oui, bien méchante ! dit avec conviction la jeune fille.

– Pourtant, un petit oiseau chante bien doucement dans la tête de Wapwi… Et sa voix n’est pas triste… Et le petit oiseau dit dans sa chanson : « Il reviendra, ton petit père ! »

– Cher enfant ! dit Mimie, très émue et entourant de son bras le cou du jeune Abénaki : c’est peut-être l’ange gardien de ton maître qui dit cela au tien.

– Tu as raison, tante Mimie… Il faut bien qu’ils soient deux là-dedans (et Wapwi frappait son front), puisque je les entends parler.

– Sans doute, cher enfant : les anges parlent souvent à l’oreille des bons petits sauvages qui aiment bien leurs maîtres.

Wapwi parut très heureux de savoir cela. Mais, après quelques secondes, une idée lui surgit, qui assombrit de nouveau son front. Regardant la jeune fille avec ses grands yeux noirs, un peu farouches, il demanda en baissant la voix :

– L’oncle Gaspard a-t-il un ange gardien, lui aussi ?

– Sans doute… Pourquoi cette question ?

– Parce que, s’il en a un, cet ange-là doit être une fière canaille.

– Vas-tu bien te taire !… On ne parle pas comme cela !

– Si, si ! fit l’enfant… Ou bien, ajouta-t-il comme correctif, c’est l’oncle Gaspard qui le chasse, quand il veut faire un mauvais coup.

– Tu ne te trompes pas, petit ; quand on fait le mal, l’ange gardien s’en va.

– Bien sûr… murmura Wapwi avec conviction, le sien n’y était pas, la nuit dernière !

On arrivait à la maison, et la conversation s’arrêta là, pour le moment.

Mais, lorsque la mère Hélène fut bien installée dans son lit, avec des compresses froides sur la tête, le père Labarou fit signe aux deux enfants de le suivre au dehors, et l’on tint une sorte de conférence.

D’abord Wapwi fit part de ses courses, par terre et par mer.

Sans insister particulièrement, toutefois, il ne manqua pas de faire saisir à ses deux auditeurs le fil d’Ariane, que des soupçons trop bien justifiés lui avaient mis dans les mains.

Depuis l’affaire de la passerelle, Wapwi avait l’esprit en éveil et observait Gaspard.