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XX

OÙ EST L’AUTRE


La première chose que vit Gaspard, en débouchant sur le littoral de la baie, — côté des Labarou, — fut la goélette de ces derniers, foc hissé et misaine à mi-mât, se dirigeant vers le large.

Évidemment, toute la nuit, la tempête avait inquiété les bonnes gens ; et, dès la pointe du jour, profitant du baissant, le père n’avait pu résister à l’anxiété générale et se disposait à aller voir ce qui se passait.

Gaspard eut un instant l’idée de le héler.

Mais c’eût été peine perdue.

La goélette, ayant fait son abatée et recevant la brise d’aplomb, bondissait déjà sur les vagues venues du large et filait vers l’îlot.

— Va, va, mon vieux : tu ne trouveras rien !… ricana le misérable. — C’est à peine si le plus haut rocher de l’îlot commence à se montrer la tête au-dessus des vagues…

En effet, après être resté une dizaine de minutes en observation, il vit la goélette dépasser d’abord l’îlot, puis virer de bord et tirer bordée sur bordée, pour reprendre finalement la direction de la baie.

Le moment psychologique était arrivé…

Il se traîna, plutôt qu’il ne marcha, vers la maison…

Deux femmes, très émues, en observation sur le rivage, suivaient du regard les mouvements de la goélette.

Tout à coup l’une d’elle, — la mère, — poussa une exclamation :

— Ah ! mon Dieu, n’est-ce pas là Gaspard ?

— Oui, mère… Nous allons savoir…

— Mais il est seul !… Où est Arthur ?

— En arrière, probablement…

— Enfin !… Ce n’est pas trop tôt ; j’achevais de mourir d’inquiétude.

— Calmez-vous, mère… Je cours m’informer.

Et Mimie fit une centaine de pas au-devant de son cousin.

Mais l’apparence dépenaillée, le corps affaissé, et surtout la figure couverte de sang du revenant, l’arrêtèrent net.

Elle joignit les mains, dans une attitude d’effroi, et s’écria :

— Sainte Vierge ! qui t’a arrangé comme cela ?… D’où sors-tu ?

Gaspard, tout pénétré de son rôle, se contenta de lui jeter un regard où il y avait de l’hébétement et continua d’avancer.

La mère Hélène, de son côté, approchait toute tremblante, n’osant questionner.

Gaspard jugea le moment arrivé, où il devait y aller d’une petite syncope…

Comme il ouvrait la bouche pour parler, un voile sembla couvrir ses yeux ; sa langue bredouilla ; ses genoux fléchirent…

Il s’affaissa.

Pour comble de guignon, ses bras affaiblis ne furent pas assez