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Impossible à la frêle Suzanne et à l’enfant d’entreprendre de mouvoir cette grosse embarcation, servant à débarquer ou embarquer les tonneaux de poisson…

Wapwi eut une idée.

– Des rouleaux ! fit-il.

Et il courut au hangar, suivi de Suzanne.

On trouva aisément quelques bûches rondes, que l’on transporta au rivage.

Les deux rames ayant été étendues parallèlement sous le fond plat du chaland on glissa un des rouleaux sous la quille, aussi loin que possible ; puis on disposa les autres à quelque distance en avant.

De cette façon, on réussit, sans trop de peine, à mettre l’embarcation à flot.

Puis Wapwi, muni d’une rame, sauta dedans, en criant à Suzanne, partagée entre le désir de sauver son fiancé et l’horreur qu’elle ressentait en face de cette mer en furie :

— Laisse-moi aller seul, petite mère !… Le vent porte sur l’îlot et je n’ai qu’à conduire… Une femme ne ferait qu’augmenter le danger, vois-tu !…

Suzanne se rendit à ce raisonnement et ne put que dire :

— Va où Dieu te mène, cher enfant. Je vais prier, moi !

Le chaland quitta la rive et disparut bientôt, entraîné par la tempête, qui faisait rage.

En moins de dix minutes, il se trouva en vue de l’îlot, — ou plutôt de ce qui pouvait rester de l’îlot, — car la mer était presque haute.

Debout à l’arrière du chaland, une rame à la main pour la guider, Wapwi plongeait ses yeux subtils au sein du brouillard humide, moitié ombre, moitié poussière d’eau, que le vent faisait rouler sur la baie.

Une fois, il crut entrevoir une forme sombre dressée sur les flots.

Donnant aussitôt un coup de rame pour y diriger l’embarcation, il regarda encore.

La forme sombre y était toujours, mais les flots la couvraient presque en entier, par moments…

Une voix lamentable sembla même arriver jusqu’à ses oreilles appelant au secours.

Alors Wapwi cria de toutes ses forces :

— Voici Wapwi !… Tiens bon là !…

Mais, hélas ! c’est tout ce qu’il peut dire…

Un violent coup de mer le jeta hors du chaland, et les lames furieuses s’emparèrent de son pauvre petit corps pour le rouler comme une épave jusqu’à plus d’un mille de distance, où elles le laissèrent sur le rivage, à moitié mort et tenant toujours sa rame dans ses mains crispées.

Wapwi, sans trop savoir ce qu’il faisait, se traîna vers la côte, sous le couvert des arbres, et tomba dans un profond assoupissement.

Nous avons vu quelle surprise l’attendait à son réveil.