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Ce récit fantaisiste, arrangé et « classé » dans la tête froide de Gaspard, il n’y avait plus qu’à retirer du flanc de la chaloupe la pointe de roc qui s’y était encastrée solidement.

Gaspard dut s’y prendre à deux fois et se servir d’un levier ; car telle avait été la force de projection qui avait jeté l’embarcation sur ce rocher pointu, que l’ouverture, une fois dégagée, semblait faite à l’emporte-pièce.

Par un hasard providentiel, — on verra plus tard pourquoi ce mot est souligné, — la chaloupe qui avait servi le plan infernal du meurtrier était venue s’éventrer sur une pointe de granit ferrugineux très dur, qui avait traversé le bois en laissant un trou net, de la même forme que sa surface anguleuse, y dessinant même les arrêtes de ses angles pyramidaux.

Gaspard, qui avait « de l’œil », — comme disent les Italiens, — vit cela tout de suite.

S’emparant d’un caillou pesant, trouvé dans le voisinage, il s’escrima si bien qu’il finit par casser la pointe compromettante au niveau du rocher.

Puis, après avoir jeté, suivant son habitude, un regard soupçonneux de tous côtés, il alla cacher le tronçon cassé au plus épais des fourrés, au pied même de la falaise.

Cela fait, le prudent naufrageur, tête et pieds nus, la chemise en lambeaux, le crâne entouré d’un bandage sanglant, prit tranquillement la direction de la baie.


XIX

UNE TROUVAILLE DE WAPWI. — À LA RESCOUSSE


Deux minutes plus tard, une tête effarée émerge du rideau de feuillage bordant la grève et des yeux brillants suivent le « naufragé », à mesure qu’il disparaît d’une pointe à l’autre.

C’est Wapwi.

Celui-ci est aussi un naufragé sérieux, tandis que l’autre n’est qu’un naufrageur.

Mais… qu’a donc l’enfant ?

Ses joues sont flasques ; ses lèvres, décolorées…

Il se tient à peine sur ses jambes…

Ce qu’il a ?

Nous allons le dire : il revient du tombeau des marins, de cette mer si terrible, linceul mouvant de tant de braves gens.

C’est un ressuscité…

Une vague l’a englouti. Une autre vague l’a jeté sur le rivage.

Voilà pourquoi Wapwi flageole sur ses jambes, comment il se fait que nous le retrouvons au point du jour, émergeant d’un rideau d’arbres, au bord de la mer.

On se rappelle que le petit Abénaki, chagrin de voir accuser ses compatriotes du guet-apens de la passerelle, s’était donné pour mission de découvrir les coupables, — ou plutôt le coupable…