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Restait la chaloupe à mettre en état d’affronter l’examen des gens soupçonneux.

Ce n’était qu’un jeu d’enfant pour Gaspard.

Que fallait-il « établir », en effet, pour appuyer la narration qu’il avait « arrangée » dans sa tête ?

Tout simplement ceci : qu’au moment de quitter l’îlot, la chaloupe, soulevée par une lame, était retombée sur une pointe de roc et s’était défoncée.

Le grappin étant levé, on avait dû partir comme cela, entraîné par la tourmente.

Alors commença une lutte épouvantable contre les éléments en furie…

Combien de temps dura cette lutte, rendue impossible par la perte des rames et de tout espar pouvant servir à diriger l’embarcation !

Qui pourrait le dire ?

Peut-être dix minutes !… Peut-être une heure !

Devenue le jouet des flots, mais chassée tout de même vers la côte par une saute de vent, la chaloupe se défendit comme elle put jusqu’au-dessus des rochers formant le bras occidental de la baie, dans les marées ordinaires.

Mais quand il fallut passer au milieu de ce chaos mouvant, les deux naufragés, se sentant perdus, firent leur acte de contrition.

Quelle gigue échevelée de montagnes d’eau heurtées ! quels sifflements sinistres de la tempête à son paroxysme ! que d’obscurité partout !…

À demi submergée, la chaloupe tourbillonnait au centre de cet enfer liquide, épave perdue, jouet des flots, cercueil flottant…

Glacés d’horreur et de froid, les deux naufragés, cramponnés aux bancs, se tenaient à chaque extrémité de la petite embarcation.

On ne parlait pas. À quoi bon, du reste, parler au sein de ce charivari !

À un moment donné, Gaspard crut entrevoir la masse sombre de la côte.

Il cria à son cousin :

— Terre ! terre ! nous sommes sauvés !

Mais aucune voix ne lui répondit.

Se penchant pour mieux voir, Gaspard constata avec horreur qu’Arthur avait disparu, emporté sans doute par une lame, ou tombé par-dessus bord, Dieu sait quand !…

Alors, pris de désespoir, il voulut périr lui, aussi. Mais au moment de mettre à exécution ce projet conçu en une minute d’affolement, il sentit que la chaloupe, après avoir été soulevée une dernière fois par un bourrelet d’eau, retombait sur la terre ferme…

Perdant pied, il fut lancé au dehors, sans même avoir eu le temps de faire un geste.

Et ce n’est qu’un peu avant le jour qu’il avait repris connaissance et s’était trouvé sur le sable du rivage, à plus d’un mille de la baie.

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