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« Le survivant courbe de plus en plus la tête, force ses yeux à produire quelques larmes ; puis, sans un mot, lève vers le ciel ses bras tremblants et… s’affaisse, privé de sentiment, comme tout à l’heure.

« Mais cette fois, ce ne sera que pour la frime !… Car je n’aime guère ce genre de pantomime, bon pour les femmes, — et encore !…

« Voilà mon programme pour l’arrivée !

« Et je défie bien le diable lui-même, mon digne patron, de venir me contredire !!!… »

Après ce soliloque, Gaspard semble reprendre possession de son sang-froid ordinaire.

Au bout d’une minute employée à réfléchir, il reprit :

— Et, d’abord, cette blessure si opportune ! — il ne faut pas qu’elle fasse trop des siennes, qu’elle dépasse les bornes d’une honnête hémorragie… C’est qu’elle saigne, la gaillarde, comme si elle était « sérieuse » !

Le misérable y porte la main, palpe, sonde du doigt, s’assure que l’os est intact et finit par dire :

– Ah ! bah ! une égratignure !… Gardons-nous bien de laver la chose : ça lui ôterait du gabarit !… Une simple compresse d’eau salée pour fermer le robinet au sang, et en route !

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Gaspard déchire un morceau de sa chemise de grosse toile, arrache une poignée d’herbes, qu’il trempe dans l’eau salée, assujettit cette compresse sur la plaie de sa tête, noue sous son menton le lambeau de chemise…

Et le voilà pansé provisoirement !

La fraîcheur des herbes trempées dans l’eau salée lui procure un soulagement immédiat.

Ses idées s’éclaircissent ; son cerveau se dégagea : il peut analyser froidement la situation.

D’abord, le « coup de l’îlot » a-t-il réussi ?

Gaspard s’avance sur le bord de la mer et jette un long regard vers le large, dans la direction de l’ouverture de la baie, au sud-est…

Rien.

La mer affolée danse une gigue macabre au-dessus des rochers où il a abandonné son cousin.

Le cadavre du malheureux, roulé de vague en vague, doit être à l’heure présente en plein golfe, entraîné par le courant de Belle-Isle qui porte au sud pendant le flux.

Au baissant, le noyé prendra-t-il le chemin du détroit, ou celui qui longe la côte ouest de Terre-Neuve, pour gagner l’Océan ?

Cela importe peu à Gaspard.

Le cadavre d’un ennemi sent toujours bon ; et, qu’il vienne s’échouer dans les environs de Kécarpoui ou sur les rivages de la grande île, ce cadavre ne pourra raconter à personne le drame de la nuit précédente, ni empêcher Gaspard Labarou d’épouser Suzanne Noël.

Telles furent les conclusions auxquelles en arriva le fratricide, après son inspection du golfe.