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petit à petit cette installation faite à la hâte et y ajouter les hangars et autres annexes indispensables.

L’essentiel, pour le moment, c’était de s’organiser pour la pêche.

Les agrès furent inspectés et réparés ; la barque radoubée et goudronnée de l’étrave à l’étambot ; les voiles remises en état…

Bref, quinze jours après leur abordage, les Labarou se retrouvaient chez eux et reprenaient leur train de vie ordinaire.

Cela devait durer douze années entières, pendant lesquelles un incident digne d’être rapporté vint rompre la monotonie de cette existence patriarcale.


II

AVENTURE DE CHASSE


En juillet 1850, — c’est-à-dire dans la dixième année de leur séjour à Kécarpoui, — les jeunes cousins Labarou firent une assez longue expédition en mer.

Âgés tous deux alors d’un peu plus de vingt ans, très développés physiquement et hardis marins, ils ne craignaient guère de s’aventurer en plein golfe, dans la barque à demi pontée qu’ils s’étaient construite eux-mêmes, sous la direction du vieux Labarou.

Cette fois là, — soit hasard de la brise, soit curiosité d’adolescents, — ils avaient poussé une pointe jusque près de la côte ouest de Terre-Neuve, malgré les recommandations paternelles ; et, joyeux comme des galopins qui ont fait l’école buissonnière, ils revenaient à pleines voiles vers la baie de Kécarpoui, lorsqu’en remontant le littoral, qu’ils serraient d’assez près, un spectacle fort attrayant pour des yeux de chasseurs leur fit aussitôt oublier qu’ils étaient pressés…

Deux caribous, — arrêtés au bord de la mer, où ils étaient venus boire sans doute, — se tenaient côte à côte, les pieds dans l’eau et la mine inquiète, regardant cette embarcation voilée qui se mouvait sans bruit, à quelque distance du rivage.

La tentation était vraiment trop forte !…

Un coup de barre, et la barque se dirigea vers le rivage, qu’elle laboura de son étrave et où elle s’immobilisa.

Les deux jeunes gens, le fusil à la main, étaient déjà partis en chasse.

Mais les gentilles bêtes, — revenues de leur premier mouvement de surprise et ramenées d’instinct au sentiment de la prudence, — pirouettèrent sur leurs pieds et disparurent sous bois, gagnant la côte voisine.

Les chasseurs s’élancèrent sur leurs traces et eurent bientôt fait d’escalader la côte boisée qui leur masquait l’horizon du nord.

Arrivés sur la crête, ils s’arrêtèrent un moment pour reprendre haleine et s’orienter.

Devant eux s’étendait une large savane, tapissée de bruyères longues et maigres, émergeant d’une herbe jaunie, haute et clairsemée. Çà et là, des rochers de formes diverses accidentaient cet espace découvert, que Jupiter tonnant avait dû défricher lui-même, s’il