Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rêvé dans la cervelle de ce sauvage de race blanche abandonné à toutes les fureurs de la passion…

Il ne restait plus d’autre alternative à l’auteur du guet-apens, que d’en tirer le meilleur parti possible.

D’abord, il lui faudrait expliquer la catastrophe, la disparition de son cousin, tout en ne laissant aucun doute sur le rôle héroïque que lui, Gaspard, avait joué dans ce drame nocturne, d’où il ne revenait que par miracle.

Telles étaient les pensées du misérable au moment où, entraîné par les vagues énormes soulevées par la tempête, il voyait l’îlot disparaître dans les brumes et les embruns qui couvraient la baie.

Mais il n’eut guère le loisir d’élaborer un plan quelconque à cet égard, car le soin de sa propre conservation le rappela vite au sentiment du danger immédiat que lui-même courait.

En effet, seul dans une embarcation légère, n’ayant ni le temps de dresser le mât, ni celui de mettre le gouvernail en place, il se voyait contraint de gagner terre « à la godille », recevant les lames de biais et fort empêché de garder l’équilibre dans la coquille de noix qui le portait.

Pendant une bonne moitié du trajet, les choses allèrent tant bien que mal.

La chaloupe fuyait vers l’ouest et dépassait la pointe submergée de la baie, mais se rapprochait tout de même du rivage.

Toutefois, les lames frappant de biais, déferlaient à chaque instant par-dessus sa joue et l’alourdissaient rapidement des masses d’eau qu’elles y déversaient.

Il vint un moment où Gaspard eut peur…

En fouillant du regard l’espace brumeux qui le séparait de terre, il ne vit qu’un chaos mouvant de brouillards épais, et plus loin, — bien loin, se figura-t-il, — la ligne sombre de la côte, à peine estompée dans l’obscurité.

Ces erreurs de distance sont fréquentes, la nuit, surtout quand on a l’esprit frappé comme l’avait le misérable.

Gaspard se crut perdu.

Ses bras engourdis ne pouvaient plus donner à la rame avec laquelle il « godillait » l’impulsion énergique nécessaire au progrès de l’embarcation…

Et les lames embarquaient toujours !…

Et le vent hurlait de plus en plus !…

Et, à travers ces clameurs de tempête, le fratricide croyait entendre la voix désespérée du pauvre Arthur, seul sur son îlot à demi-submergé et voyant venir fatalement une mort terrifiante !…

Oui, le fratricide eut peur, — une peur de bête acculée en face des chasseurs…

Mais, de remords, point !

Même à cet instant suprême où il se crut voué au gouffre, il ne regretta pas ce qu’il avait fait.

Plutôt mille morts, que de voir son cousin aimé de Suzanne Noël !