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LE DRAME DE LA SENTINELLE

Le cœur de ces adolescents, exubérants de force et de santé, secouait au contraire leur poitrine par ses heurts inégaux.

L’amour, la plus forte des passions, — surtout à cet âge de la vie, — les tenait crispés sous son étreinte…

L’évolution morale inévitable était arrivée pour eux ; le coup de foudre du premier amour, — et du premier amour dans les circonstances particulières d’isolement où ils se trouvaient, — venait de les frapper…

Et la fatalité voulait que ce fût la même femme que les deux cousins convoitassent !…

Qu’allait-il arriver pendant cette nuit grise, où les étoiles scintillaient à peine à travers l’ouate serrée de l’atmosphère et où le moindre bruit se répercutait d’une façon insolite ?…

Ce qui allait arriver ?

C’est le DRAME, — le drame que se racontent encore, autour de l’âtre abrité ou près du feu de campement, les pêcheurs de la côte labradorienne ou les aborigènes des savanes intérieures.

— Hop ! ça y est. J’ai cru que nous n’arriverions jamais !

— Quelle impatience !… À peine un quart-d’heure ou vingt minutes pour faire deux milles…

— Pas davantage, tu crois ?

— Deviens-tu fou ?… Tu sais bien qu’il ne faut pas plus de temps.

— C’est bon, c’est bon, capitaine Gaspard ; vous ne perdrez jamais la boule, vous !

— C’est que je ne suis pas amoureux, moi ! répliqua Gaspard, avec une intonation étrange.

Puis il ajouta, d’une voix blanche :

— Qui donc aimerait Gaspard Labarou sur cette côte maudite ?

— Qui ? dit aussitôt Arthur, en haussant les épaules ; mais ma sœur Euphémie, parbleu !… D’où sors-tu donc ce soir ?

— Mimie !… Oh ! la bonne farce !… Ah ! ah ! Mimie Labarou, ma cousine ou plutôt ma sœur !… Mimie, ah !

— Quoi !… Qu’y a-t-il de si drôle dans ce nom-là ?… Il me semble que tu ne faisais pas tant la petite bouche, il y a quelques semaines, et que tu n’étais pas si dédaigneux à l’endroit de ma sœur ! Est-ce que l’arrivée de nos voisines aurait déjà éteint ton beau feu ?

— Fi…-moi la paix, entends-tu ! gronda Gaspard, d’un ton rogue ; et, surtout, que je n’entende plus le nom de ta sœur, cette nuit. Ça m’agace, oh ! là, là !

Et Gaspard accompagna cette onomatopée d’un geste si menaçant, qu’Arthur, tout ahuri, ne put qu’ajouter :

— Tiens ! tiens !… Je m’en doutais bien un peu ; mais me voici éclairé tout de bon… Ah ! le sournois !

Et la figure un peu efféminée du frère de Mimie blanchit sous son hâle.