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— Une hallucination… qui me passe tout à coup devant les yeux !

— Et cette hallucination te fait voir ?…

— L’un de vous deux abandonné par son compagnon sur l’îlot…

— Hein ! fit Gaspard, sursautant.

— …Et disparaissant sans laisser de traces, emporté par la marée montante… acheva Thomas, sans avoir l’air d’y toucher.

Gaspard eut une seconde de stupéfaction et devint très pâle.

Il regarda son compagnon.

Mais celui-ci, le coup porté, semblait uniquement occupé de sa barre de gouvernail, qu’il manœuvrait pour embouquer la baie.

On arrivait.

Plus un mot ne fut échangé.

Les deux hommes, après une course d’un petit quart-d’heure vers le fond du bras de mer, abaissèrent les voiles, jetèrent l’ancre et descendirent dans la chaloupe du bord, pour débarquer.

Au moment où Gaspard était déposé sur la rive ouest par son compagnon, — qui, lui, devait traverser seul de l’autre côté, — il lui dit d’une voix étrange :

— Nous reverrons-nous demain ?

— Je ne crois pas. Il est mieux que tu penses seul à ton affaire.

— Comme tu voudras. Mais, si je me décide, me jures-tu le silence ?

— Je ne trahis jamais un ami.

— Et m’aideras-tu ensuite à obtenir la main de Suzanne ?

— Mon compère, si ce n’était pour te donner à Suzanne, pourquoi donc me mêlerais-je de votre rivalité entre cousins ?

— Écoute, Thomas… Si jamais je deviens ton beau-frère, nous ferons de beaux coups, tous deux, je ne te dis que ça !… Tu es un homme, et je me sens de taille, moi aussi, à faire autre chose que la petite pêche, près des côtes.

— Voilà qui est parler… Bonne chance, mon vieux, et… du nerf !

— À revoir. Il y aura du grabuge dans la baie, après-demain !

Les deux compères se quittèrent, sur ces mots, et regagnèrent leur logis.

XVII

LE DRAME DE LA SENTINELLE


Comme, très probablement, il ne devait pas s’écouler plus de deux ou trois jours avant l’arrivée du missionnaire, on s’employait ferme des deux côtés de la baie.

Les jeunes gens de la rive ouest avaient promis, pour leur part, des monceaux de gibier à plume.

Aussi, dès l’heure convenue, les deux cousins sont à leur poste.

La nuit s’annonce belle.

À part de grands stratus, allongés tout là-bas sur l’horizon de l’est, vers Terreneuve, le ciel est gris, presque bleu, ouaté ci et là de