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DEUX COMPÈRES

— Et tu as bien fait. Je te l’avais conseillé du moment que j’ai appris la chose.

— Mais j’ai un peu « fardé » la vérité, en la laissant sous l’impression que mon oncle avait été l’agresseur.

— Il paraît que c’est notre père qui a « tapé » le premier, remarqua tranquillement Thomas.

— L’oncle Labarou prétend cela, du moins ; mais c’est à prouver.

— La mère Noël est convaincue qu’il dit vrai : il n’y a donc plus à revenir là-dessus. D’ailleurs, la preuve viendra en son temps, affirme-t-elle.

— Elle est de bien bonne composition, ta mère !… et j’en connais qui ne s’accommoderaient pas si vite d’une affirmation intéressée…

— Laissons là ma mère, veux-tu ? fit remarquer Thomas. — Ce qu’elle fait est bien fait.

Gaspard se le tint pour dit et n’insista plus.

Pendant quelques minutes, on garda le silence.

La goélette courait allègrement, grand largue, vers la baie de Kécarpoui, dont on commençait à distinguer les pointes.

Dans une couple d’heures, au plus, si la brise tenait bon, on embouquerait ce bras de mer et l’on pourrait dire bonsoir aux « bonnes gens ».

Mais, précisément, la brise se prit à mollir petit à petit.

Gaspard en fit la remarque.

— Le vent tombe, dit-il… Pourvu qu’il ne nous lâche pas tout à fait !…

— Ce n’est qu’une accalmie, répondit Thomas, après avoir observé le firmament. M’est avis que si le nordet se repose, c’est pour reprendre des forces.

— Ah ! tu crois donc qu’il ferait grand vent demain soir ?…

— Grand vent et grande mer ; nous voici à l’équinoxe.

— Ma foi, tant pis !

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Parce que demain, Arthur et moi, nous devons passer la nuit sur l’Îlot du Large, tu sais ?…

— À l’entrée de la baie ?… Je connais ça. Mais qu’allez-vous faire là ?

— La guerre, mon vieux ; une guerre à mort aux canards, outardes et autres volatiles qui viennent, à marée basse, s’y empiffrer de mollusques et de graviers.

— Ah ! ah ! fit Thomas.

Puis il s’arrêta une seconde pour réfléchir. Après quoi, regardant fixement son ami :

— Mais il va faire un temps de chien, demain la nuit, ou je ne connais plus rien aux signes de l’air !

— Peu importe ; il faut bien profiter des basses mers pour approvisionner de gibier les deux maisons, en vue des… noces !

Et Gaspard prononça ces derniers mots sur un ton si singulier, que son compagnon fixa encore sur lui un regard narquois.