Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
DEUX COMPÈRES

Personne, on le voit, — pas plus à l’est qu’à l’ouest de la baie, — ne soupçonnait que la passerelle eût été sciée malicieusement.

Telle était la situation dans les premiers jours de septembre.

Ajoutons cependant qu’à l’est comme à l’ouest, chez les Noël comme chez les Labarou, certains remue-ménages inusités, un branlebas général de nettoyage, divers travaux de couture et autres préparatifs ayant une signification énigmatique… laissaient prévoir que quelque événement mémorable devait se passer sous peu.

En effet, le 15 septembre, — c’est-à-dire dans une dizaine de jours au plus, — une grande visite était attendue…

Celle du missionnaire !

Or, à l’occasion de cette visite bisannuelle, le premier mariage entre gens de race blanche serait célébré à Kécarpoui…

Celui d’Arthur Labarou et de Suzanne Noël !

Il avait bien aussi été question d’unir Gaspard et Mimie.

Mais les deux fiancés, d’un commun accord, — ou plutôt désaccord, — avaient remis la partie au printemps suivant.

Jusque-là, il pouvait couler « joliment » de l’eau sous les ponts.

XVI

DEUX COMPÈRES


La goélette courait, bâbord amures, vers la côte, pendant qu’à droite défilait rapidement le littoral tourmenté de Terreneuve.

Bien qu’à une dizaine de milles de distance, la ligne boisée des pointes et des baies, les saillies des caps, les taches sombres des forêts se dessinaient successivement, et avec une grande netteté, sur l’horizon de l’est, à mesure qu’on avançait vers le nord.

Il était sept heures du soir.

Thomas Noël, enveloppé d’un imperméable de grosse toile huilée et coiffé d’un chapeau également à l’épreuve de l’eau, tenait la barre.

À ses côtés, la pipe aux lèvres et le regard obstinément fixé sur la côte nord, un jeune homme, à l’air renfrogné et dur, était debout, gardant son équilibre en dépit de la houle, par un simple mouvement des reins.

Ce garçon-là devait avoir le pied marin, car cette houle, très forte et rencontrée de biais, faisait rouler le petit vaisseau comme un simple bouchon de liège.

Mais, soit habitude, soit préoccupation, le personnage en question semblait aussi à son aise sur ce pont mouvant que sur le plancher des vaches, — comme les marins appellent dédaigneusement la terre ferme.

C’était, — on l’a deviné, — Gaspard Labarou.

Les deux compères revenaient d’une courte excursion de pêche le long du littoral français, — french shore, — de Terreneuve ; et, après avoir préparé temporairement leur poisson, ils se hâtaient de regagner Kécarpoui pour l’encaquer définitivement.

Toutefois, au moment où nous les mettons en scène, — le 12