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OÙ WAPWI COMMENCE À AVOIR LA PUCE À L’OREILLE

cuivrés d’avoir organisé ce guet-apens odieux, en faisant tomber un énorme caillou, arraché des flancs du cap…

Wapwi voulait prouver la fausseté de ce soupçon en retrouvant les deux ou du moins l’un des bouts de la dite passerelle. Une fois en possession de cette pièce justificative, on verrait bien, oui ou non, si le tronc de l’arbre avait été scié ou s’il s’était rompu sous un choc pesant.

Qu’il réussît à mettre la main sur ce simple morceau de sapin, et tout de suite les soupçons étaient détournés pour se voir reporter sur le véritable coupable, que Wapwi ne serait pas en peine de désigner, le cas échéant.

Voilà à quoi, le jour et la nuit, songeait l’enfant.

Il avait bien fait des recherches des deux côtés de la baie, le long du rivage.

Mais, sans doute, le courant de la rivière avait entraîné au large les deux bouts du tronc d’arbre encore garni d’une partie de ses branches, car il n’avait rien trouvé.

– Ils seront descendus jusqu’à Belle-Isle… se disait Wapwi, ou bien ils sont allés s’échouer sur le rivage de Terre-Neuve… Il faudra que j’aille par là, l’un de ces jours.

« Si je retrouve le sapin avec une cassure ordinaire, les sauvages ont fait le coup.

« Mais s’il y a un trait de scie à l’endroit de la rupture, le coupable… c’est… l’oncle Gaspard !

« Les sauvages ne traînent pas de scie avec eux, quand ils vont en expédition.

« Au reste, il n’y a dans les bois, autour d’ici, ni Micmacs, ni Abénakis, ni Montagnais. Les trappes que l’oncle Gaspard dit avoir découvertes près de la rivière, Wapwi sait mieux que personne qui les a tendues, puisque c’est lui-même…

« Il faut bien que la marmite de la mère Labarou soit fournie de gibier ! »

Et, sur ce raisonnement très juste, comme canevas, Wapwi brodait les plus fantastiques fioritures.

Pour légende à ce travail d’imagination enfantine, il y avait ces mots : je veillerai !

De l’autre côté de la baie, chez les Noël, les choses continuaient aussi d’aller leur train ordinaire.

L’accident de la passerelle avait, sans doute, causé une vive alerte, surtout dans l’esprit de Suzanne ; mais on avait attribué la rupture à une cause toute fortuite, comme la chute d’un caillou pesant plusieurs tonnes.

Ainsi l’expliquait, du moins, Thomas, le chef de la petite colonie.

Quant à ce qui avait fait choir ce caillou, les avis étaient partagés…

Étaient-ce les pluies torrentielles des jours précédant la catastrophe ou la main criminelle des sauvages ?

Thomas accusait ces derniers, tout comme le faisait Gaspard.

Les autres opinaient pour une dégringolade accidentelle.