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— Oh ! oui, va ! fit chaleureusement l’amoureux Arthur : bonne autant que belle !

Puis il ajouta, songeur :

— C’est drôle, tout de même… Cet enfant aime réellement Suzanne autant que je l’aime moi-même… Seulement, ce n’est pas comme moi !

Ainsi devisant, les deux promeneurs arrivèrent à la passerelle.

Tout y était en ordre ou, du moins, paraissait tel.

Mais, au-dessous, le torrent, grossi par les pluies de quelques jours auparavant, avait les allures désordonnées d’une véritable cataracte.

Les basses branches du tronc de sapin couché en travers trempaient dans le courant, qui leur imprimait un mouvement de va-et-vient régulier, quoique assez inquiétant.

Pour le quart-d’heure, Arthur se moquait bien de ces oscillations !

Ayant levé les yeux vers la cime du cap, en face, il avait entrevu un mouchoir blanc agité par une main de femme…

En avant donc !

Il s’élança…

Mais il n’avait pas fait la moitié du trajet, que la passerelle se rompit par le milieu et s’abîma dans le torrent.

Deux cris dominèrent un instant le tapage des eaux heurtées : l’un poussé par une voix de femme, — cri de terreur ! l’autre par un organe masculin, — clameur d’agonie !

Puis… l’éternelle chanson des chutes !

Les voix humaines s’étaient tues.

Le gouffre entraînait sa victime.

Où était donc Wapwi, le dévoué enfant des bois ?

Allait-il laisser périr son maître, sans tenter un effort pour le sauver ?

Nous allons bien voir…

Wapwi avait reçu l’ordre d’attendre, sur la rive droite, le retour de son compagnon.

Il était donc là, le suivant des yeux, au moment où la passerelle s’effondra, et, chose singulière, à l’instant précis de la catastrophe, il pensait justement à la possibilité d’un accident de cette nature.

Dire qu’il n’eut pas une seconde d’émotion terrible serait contraire à la vérité.

Affirmer absolument aussi qu’il fut pris par surprise, en voyant le tronc d’arbre se rompre, ne rendrait pas, non plus, exactement son état d’âme…

Nous dirions presque qu’il s’y attendait, — ou du moins que son instinct de sauvage l’avertissait que quelque événement imprévu allait arriver, — si nous pouvions analyser une sensation aussi vague, un pressentiment aussi rapide, que celui qui l’étreignit soudain au moment où Arthur mettait le pied sur la maudite passerelle.

Dominé par ce singulier pressentiment, il avait jeté un rapide