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quartier de roc, — comme j’en vois un, là, dans le lit de la rivière, — aura roulé du haut du cap et « fêlé » le tronc d’arbre, pendant la nuit. Ce sera un accident, du reste. À l’œuvre, Gaspard : il ne faut pas que la belle Suzanne appartienne à un autre que toi. Non, cela… Plutôt la mort !

Et, résolument, il gagna le milieu de la passerelle.

Arrivé là, il déroula de sa ceinture une longue ficelle, armée d’un plomb de sonde à l’une de ses extrémités.

Laissant tomber le plomb dans un remous, où l’eau ne faisait que tourner en cercle, il mesura exactement la distance entre le fond solide et la passerelle.

Puis, faisant un nœud à la ficelle, il revint sur ses pas.

Cherchant alors des yeux autour de lui, il avisa bientôt une jeune et mince épinette, haute d’une vingtaine de pieds, qu’il abattit et ébrancha avec sa hache.

Il la coupa à la longueur voulue, après avoir pris ses mesures sur sa ficelle.

Puis il regagna le milieu du tronc d’arbre.

Plongeant alors un des bouts de la perche, préparée un instant auparavant, dans l’eau du torrent, il assujettit l’autre sous la passerelle, comme un pilotis.

— Comme cela, dit-il, je ne serai pas exposé à ce que ce maudit pont se rompre sous mon propre poids, pendant que je serai à la besogne.

Enfin commença l’œuvre infernale.

Couché à plat ventre, Gaspard scia avec son égohine la face de la passerelle regardant l’eau, ne laissant intacte qu’une épaisseur suffisante pour empêcher l’arbre de se rompre par son seul poids.

Puis, revenant en arrière, il contempla son travail.

Rien n’était visible, naturellement.

Le mince trait de scie disparaissait complètement aux regards, à quelques pieds de distance.

Quant au pilotis protecteur, il avait disparu dans le courant aussitôt que le poids du sinistre ouvrier eut cessé de faire peser la passerelle sur lui.

Tout allait bien.

Le guet-apens était supérieurement organisé.

L’œuvre de mort allait réussir !

Gaspard Labarou eut un sourire de démon et reprit le chemin de son lit, disant :

— Maintenant, mon tourtereau, tu peux aller rejoindre ta tourterelle. Seulement, tu n’en reviendras pas !