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OÙ GASPARD ÉPROUVE UNE SURPRISE DÉSAGRÉABLE

— Ah ! c’est toi… Petit sauvage, va !… On n’arrive pas de pareille façon… Tu m’as fait une peur !

Effectivement, elle était toute transie, la pauvre fille. Mais, se remettant aussitôt :

– Tu l’as vu ?

– Je le suis depuis tantôt.

– D’où vient-il ?

– Il espionne petite mère Noël. – Il est méchant l’oncle Gaspard.

– Ainsi, c’est pour cette fille qu’il court les bois du matin au soir ? dit amèrement Mimie, sans relever la dernière observation.

Wapwi fit un haut-le-corps qui voulait dire clairement : « Dame, tu devais bien t’en douter ! »

Puis prêtant un instant l’oreille, il saisit le bras de sa compagne :

– Chut ! fit-il, les voilà tous deux !

–Je veux voir et entendre.

Et la jeune fille, aidée du petit sauvage, sauta aussitôt sur la berge de la saulaie, très épaisse à cet endroit de la rive, et fit quelques pas à travers l’enchevêtrement de la végétation.

Puis Wapwi, qui servait de guide, s’arrêta et se blottit derrière un gros hallier, invitant, par une pression énergique de la main, sa compagne à l’imiter.

Le sentier, conduisant des chutes au Chalet, passait à quelques pieds de là.

Deux voix, – l’une railleuse et claire, l’autre suppliante et sourde, – alternaient dans le silence environnant.

– Ainsi, disait la voix railleuse, cette belle passion vous est venue comme cela tout d’un coup, en apprenant ce que vous appelez mon malheur ?…

– Ne riez pas, Suzanne !… répliquait l’organe funèbre, – celui de maître Gaspard, – quand je vous ai vue, vous si belle, courir ainsi vers une destinée terrible, j’ai tremblé pour vous, d’abord ; puis la pitié m’est venue… Et, comme de la pitié à l’amour il n’y a qu’un pas, je l’ai vite fait ce pas…

– Vous avez de si bonnes jambes, monsieur Gaspard !

– Avez-vous le courage de rire en un pareil moment ?

– En vérité, je devrais plutôt pleurer, peut-être ? Le fait est, futur cousin, que si réellement un ruisseau de sang me séparait, comme vous l’affirmez, de mon fiancé Arthur, je n’aurais pas, moi, la jambe assez longue pour le franchir. Mais, tranquillisez-vous, monsieur Gaspard, votre ruisseau de sang n’est qu’un tout petit filet que beaucoup d’amour et de foi chrétienne effaceront bien vite…

– Ce serait une horreur, Suzanne, une alliance entre bourreau et victime !

– Là ! là ! monsieur Gaspard, ne faites pas tant de zèle et laissez-nous mener notre barque à notre guise. Quant à votre amour si désintéressé et si charitable, gardez-le pour ma belle-sœur, cette chère Mimie, qui le mérite bien plus que moi.

– C’est là votre dernier mot, mademoiselle ? fit Gaspard menaçant.