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Chaloupe et canot reprirent leur course en sens contraire et ne tardèrent pas à se trouver hors de portée de la voix.

La chaloupe traversa en ligne directe et s’en alla prendre terre à son petit havre accoutumé, près de l’habitation Labarou.

Quant au canot, au lieu de poursuivre sa course dans la direction du Chalet, qui lui faisait face, il obliqua vers le nord, longeant la rive surélevée, toute enguirlandée de frondaisons touffues, qui traînaient jusque dans la mer, et disparut tout à coup au fond d’une petite anse, rendue invisible par les rameaux épais entre-croisés en voûte à quelques pieds de la surface de l’eau.

Une fois là, plus rien !

Gens de mer et gens de terre eussent été bien empêchés de dénicher l’embarcation et son capitaine enjuponné.

Mimie Labarou attacha son esquif à une branche de saule et attendit, debout, fouillant de ses grands yeux bleus tout remplis d’éclairs la saulaie bordant la rive.

Quoique fort épais à hauteur d’homme, ce rideau d’arbustes, dépourvu de feuillage à quelques pouces du sol, permettait au regard de pénétrer jusqu’au Chalet des Noël, à deux ou trois cents pieds de là.

Pendant une dizaine de minutes, la jeune fille demeura ainsi immobile, les yeux fixés dans la même direction.

Là demeurait sa rivale, — celle qui, tout en étant fiancée d’Arthur, n’en menaçait pas moins son bonheur, à elle.

Car Mimie le sentait bien, Gaspard lui échappait insensiblement… Un magnétisme étrange l’attirait de ce côté de la baie… En dépit de ses protestations d’amour, de ses élans passionnés, de ses serments même, quelque chose de vague semblait paralyser la langue de son cousin… Ils ne se parlaient plus avec le même abandon… Les querelles surgissaient à propos de tout et de rien… Bref, Mimie était déjà assez femme, pour deviner que le cœur de son amoureux n’allait pas tarder à lui « glisser entre les doigts, » si elle n’y mettait bon ordre.

Et elle se sentait vraiment de caractère à le faire, l’indolente mais énergique Mimie !

Voilà pourquoi, secouant enfin son apathie, elle était entrée, ce matin-là, sur le sentier de la guerre.

Wapwi, prévenu dès la veille, devait la rejoindre, aussitôt libre.

C’est lui qu’attendait donc la jeune fille.

Une demi-heure s’écoula.

Les coqs chantaient près de l’habitation des Noël, et les oiseaux prenaient leurs ébats à travers la saulaie.

Mais, de voix humaines, point.

Tout semblait dormir.

Soudain, un bruit léger se fit dans le feuillage, une respiration rapide haleta aux oreilles de la guetteuse, et Wapwi encadra sa face cuivrée entre deux rameaux doucement écartés, à deux pouces au plus de son oreille.

– Tante Mimie, dit-il rapidement, ne bougez pas, ne parlez pas ; il vient !