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« Les camarades regardaient, chuchotant entre eux, sans toutefois intervenir.

« Je protestais toujours, évitant à dessein de hausser ma voix au diapason de la sienne. Mais tout de même, la moutarde me montait au nez. J’avais des bouffées de colère, des envies folles de « cogner ».

« Il vint un moment où, fou de rage, ivre de vin, Jean se rua sur moi, son couteau au poing.

« Je tirai aussitôt le mien de sa gaîne, tout en parant machinalement du bras gauche.

« C’est en cherchant ainsi à me protéger, que j’éprouvai à l’avant-bras cette sensation inoubliable de froid, bien connue de tous ceux qui ont reçu des coups de couteau.

« La lame avait passé entre les deux os et ne s’était arrêtée qu’au manche.

« Je poussai un cri de rage et frappai à mon tour, sans voir, — car un nuage de sang faisait tout danser autour de moi.

« Mon adversaire tomba, et il se fit une grande rumeur dans l’auberge.

« Des amis m’entraînèrent…

« Vous savez le reste.

La veuve ne disait plus rien.

Le front penché, les yeux sombres, elle semblait évoquer, par la puissance du souvenir, cette scène d’auberge où son homme fut couché sanglant sur le carreau.

Deux ou trois minutes durant, elle garda ce silence farouche.

Puis elle releva la tête et, regardant son interlocuteur bien en face :

— Jean Lehoulier, dit elle avec une froide énergie, vous mentez !

— Madame !…

— Vous mentez, vous dis-je !…

— Yvonne !

— Et, la preuve que vous mentez, je vais vous la donner. Attendez une minute.

Pierre ouvrait des yeux ébahis.

Mais la veuve avait disparu par la porte d’une chambre à coucher, — la sienne, — ouvert un vieux bahut et y fouillait avec ardeur.

Au bout de quelques instants, elle reparaissait, tenant un papier plié en forme de lettre.

Elle courut aussitôt à la signature et la mettant sous les yeux de son ancien fiancé de là-bas :

— Reconnaissez-vous ce nom ?

— Sans doute : Robert Quetliven !

— Eh bien, écoutez bien ce qu’il m’écrit :