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tite mère Suzanne, petit père Arthur vous attend. C’est, pressé. Rejoignez-le sur le bord de la rivière, en face de la passerelle. Il sera là sur le plateau que vous connaissez, tout en haut, au milieu des rochers. » Tu vois cela d’ici, tout droit.

Et le jeune Labarou montre de la main, sur l’autre rive, un escarpement assez élevé, couronné par un plateau où verdissent des masses de sapins touffus.

Wapwi fait signe qu’il a compris et n’ajoute qu’un mot :

— C’est tout ?

— Oui… N’oublie pas ce qu’elle te répondra.

— Petit père sera content.

Et l’enfant, léger comme un papillon, s’élance sur la passerelle tremblante, sans éprouver l’ombre d’un vertige à l’aspect du torrent qui bondit à vingt pieds au-dessous.

Arthur demeure un instant songeur ; puis, s’emparant de son fusil, — compagnon inséparable de ses courses matinales dans la forêt, — il traverse à son tour la passerelle et se dirige vers le rendez-vous assigné.

À peine a-t-il disparu, qu’une tête émerge d’un fouillis de broussailles masquant une anfractuosité de la rive à pic, à quelques pieds de l’endroit où s’est tenue la conversation rapportée plus haut.

Cette tête, livide et haineuse, est suivie d’un corps musculeux et trapu, — le tout appartenant à Gaspard Labarou.

— Ah ! c’est comme ça !… murmure-t-il avec un ricanement amer. On verra bien si la fille de la victime va faire des mamours au fils de l’assassin… Malheur à eux si !…

Le reste de la phrase est ponctué par un geste sinistre.

Et Gaspard s’élance dans la direction du nord, ne s’écartant pas toutefois de la rivière, qu’il a sans doute l’intention de franchir à gué dans quelque endroit connu de lui seul.

En effet, une dizaine d’arpents plus haut, il rencontre une mince épinette penchée au-dessus d’un endroit où la Kécarpoui, profonde et rétrécie, coule avec la rapidité d’un torrent.

Agile et fort, le sombre personnage, mettant son fusil en bandoulière, grimpe comme un chat jusqu’aux deux tiers de sa hauteur…

L’arbre, mince et flexible, se courbe, se penche…

Gaspard, suspendu par les mains, lâche prise…

Il est sur l’autre rive.

Alors, il redescend vers la passerelle, mais cette fois en s’écartant légèrement de la rivière.

Arrivé au pied du cap, couronné d’un plateau boisé, où doivent se rencontrer les amoureux, Gaspard s’arrête.

Il est en nage.

Ses tempes battent la chamade. Le vertige le menace.

Il paraît chercher à reconquérir son calme et fait mine même de cacher là son fusil…

Ses mains à plat pressent son front brûlant…

Mais, bientôt, un éclair de rage froide passe dans ses yeux durs et, remettant son fusil en bandoulière, il commence l’ascension du cap.