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D’ailleurs, la suite de ce récit vous montrera qu’elle était fort tyrannique en amour.

Le cousin Gaspard, sur qui elle avait jeté son dévolu, en savait quelque chose, probablement plus qu’il n’en eût voulu dire.

Mais, outre ce défaut moral, — si toutefois c’en est bien un, — Euphémie Labarou avait une imperfection physique très apparente, du moins quand elle se tenait debout : elle n’avait pas de jambes… ou si peu !

Ce buste parfait, de longueur normale jusqu’aux hanches, était supporté par des jambes si courtes, qu’en dépit de ses robes longues, la pauvre « Mimie, » lorsqu’elle marchait, avait l’allure disgracieuse et pesante d’une oie grasse.

Aussi ne sortait-elle guère et, comme toutes les personnes sédentaires, aimait-elle fort à caqueter !

D’où il suit qu’elle était à la fois joliment bavarde et passablement hargneuse dans ses appréciations.

Pour le quart-d’heure elle s’employait à « déshabiller » de la belle façon sa voisine de l’autre côté de la baie, Suzanne Noël, — qu’elle n’avait pas même entrevue, du reste.

Et elle paraissait avoir ses raisons pour en agir ainsi, car, à chaque trait lancé contre la nouvelle venue, elle dirigeait du côté de Gaspard un regard en coulisse, chargé de… pronostics peu équivoques.

Celui-ci, d’ailleurs, faisait mine de ne pas remarquer ce manège, se contentant de fumer comme un pacha.

— Nous étions si bien, seuls ! dit la jeune fille, en conclusion… Pourquoi ces étrangères viennent-elles, comme cela, se fourrer dans nos jambes ?

— Elles ne t’ont guère encombrée jusqu’à cette heure !… murmura Gaspard, en poussant des lèvres une grosse bouffée de fumée.

— Je le crois bien ! répliqua Mimie, avec un petit ricanement sec. D’ailleurs, elles ne font que d’arriver, et vous avez passé tout votre temps avec elle, les deux garçons.

— Il fallait bien leur aider, comme le voulait mon oncle.

— Elles ont leurs hommes : qu’elles nous laissent les nôtres !

— Prends patience, ma fille, intervint la mère. Sitôt qu’ils auront mis leurs voisines à couvert, les enfants reprendront leur train de vie ordinaire. En attendant, contentons-nous de ton père et de Wapwi.

— Père ?… Il n’est guère réjouissant, surtout depuis quelques jours. On dirait vraiment que cette invasion le contrarie encore plus que moi.

Jean Labarou, jusque-là silencieux, releva la tête en entendant sa fille parler ainsi.

— Tu ne te trompes qu’à demi, mon enfant, répliqua-t-il gravement. Je suis heureux que les garçons puissent rendre service à nos voisins, mais mon opinion sur leur compte n’a pas changé : leur présence ici nous causera peut-être des ennuis sérieux.

— C’est bien possible, tout de même… murmura la jeune fille qui eut un rapide coup d’œil du côté de son voisin.