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dront leur dîner, nous autres, allons un peu voir s’il y a encore des arbres bons à abattre dans la forêt.

En un clin d’œil nos quatre gaillards se munirent de haches et se mirent en frais d’attaquer toute épinette ou sapin des alentours qui payait de mine.

Comme le bois était abondant, bien que de médiocre futaie, la quantité abattue dans le cours de l’après-midi fut déclarée suffisante pour la maison projetée.

On remit au lendemain l’équarrissage.

Les bûcherons improvisés, trempés de sueur et la chemise bouffante autour des reins, regagnèrent la tente, où un repas substantiel les attendait.

Inutile de dire que les convives y firent honneur, — Thomas surtout, qui mastiqua et engloutit une demi-heure durant, sans souffler mot.

Les autres, moins voraces quoique passablement affamés aussi, devisèrent gaiement tout en ne perdant pas un coup de fourchette.

Les femmes, naturellement, n’étaient pas les dernières à fournir leur quote-part dans ces conversations à bâtons rompus.

En effet, Suzanne, — car la jeune fille s’appelait ainsi, — semblait avoir vaincu sa timidité habituelle pour faire fête aux hôtes généreux qui mangeaient à la table maternelle. Avec un tact parfait, — inné, intuitif chez la femme, — elle partageait également ses attentions entre les deux cousins ; mais un observateur attentif aurait probablement découvert que celles portées à Arthur se nuançaient d’un peu plus d’intérêt.

Un incident qui se produisit vers la fin du repas eût, d’ailleurs, levé tout doute à cet égard.

Arthur avait le poignet droit enveloppé d’un linge assez grossier. Or, en gesticulant suivant son habitude, lorsqu’il avait le cœur en liesse, il se heurta contre la chaise de son voisin…

Il fit aussitôt une grimace de douleur, et sa chemise se teignit de sang.

Suzanne vit et le geste de souffrance et le sang rouge qui suintait assez abondamment à travers la manche de la chemise.

Elle devint toute pâle et s’écria :

— Ah ! mon Dieu, M. Arthur, vous vous êtes fait mal !

— Ce n’est rien, répondit le jeune Labarou, dont la figure un peu contractée par la douleur démentait les paroles.

— Mais vous saignez !… Voyez donc !

— Je suis un maladroit… J’ai dérangé mon appareil.

Suzanne se leva vivement et courut à lui. Puis, s’emparant de son bras et déboutonnant avec prestesse le poignet de la chemise :

— Laissez-moi voir et tout remettre en place.

— De grâce, mademoiselle, balbutia Arthur devenu rouge comme un coquelicot, ne vous donnez pas cette peine : ce n’est qu’une égratignure que je me suis faite gauchement tout à l’heure.

— Une égratignure ! goguenarda le petit Louis… C’est-à-dire que c’est bel et bien une affreuse entaille, longue de trois ou quatre