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IV

WAPWI


Le petit sauvage, en effet, n’avait soulevé aucune objection quand on lui proposa de l’emmener.

Loin de là, peu s’en fallut qu’il ne sautât au cou de son nouvel ami, Arthur, en l’entendant lui dire, comme conclusion du dialogue échangé entre eux :

— C’est entendu, mon petit homme : tu viens avec nous et, sauf empêchement imprévu mis par les bonnes gens de Kécarpoui, tu fais de ce jour partie de l’intéressante famille Labarou.

Et il plaça sa main ouverte sur la tête de l’enfant, dont le regard intelligent le remerciait.

Ce geste d’Arthur Labarou, c’était une adoption, une adoption sérieuse.

L’avenir le prouva bien.

Alors, ce fut une avalanche de questions, auxquelles le nouveau « frère » dut répondre le mieux possible, — ou plutôt le plus possible, — car il n’était guère babillard, ce gamin de race rouge.

Mais, comme le fils des Gaules avait de la langue pour deux, il finit par tirer au clair la biographie de son protégé.

D’abord, il s’appelait Wapwi.

Il était né de l’autre côté de la mer (le Golfe Saint-Laurent), dans un ouïgouam construit sur les bords d’une grande baie qui mêlait ses eaux à celles du lac sans fin (l’Océan Atlantique)… par delà une autre baie bien plus étendue devant laquelle il fallait passer… (la Baie de Miramichi, évidemment, qui se trouve plus loin que la Baie des Chaleurs, laquelle est dix fois plus considérable).

Ses parents étaient des Abénakis.

Ils vivaient assez misérablement de chasse et de pêche, lorsqu’un jour des étrangers survinrent qui leur défendirent de prendre du saumon dans la rivière, avec des filets, sous peine de se voir chasser du pays…

Découragés, les parents de Wapwi émigrèrent vers le nord, longeant la côte dans leur canot d’écorce jusqu’à ce qu’ils atteignissent la Baie-des-Chaleurs…

Pendant des jours et des jours, ils remontèrent la rive droite de ce grand bras de mer, qu’ils n’osaient traverser dans sa partie la plus large…

Finalement, croyant qu’il ne verrait jamais se rétrécir cette nappe d’eau interminable, le père prit le parti de la traverser, par un beau temps calme…

Hélas ! cette tentative devait amener une catastrophe !…

Le léger canot avait à peine dépassé le milieu de la baie, que le vent se prit à souffler avec rage, soulevant des lames hautes comme des cabanes (c’est Wapwi qui parle, ne l’oublions pas) et ballottant l’embarcation comme une simple écorce…