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tout comme l’aurait fait une mère, et l’arracha à son étreinte pour le transporter plus loin.

Il lui disait, tout en le câlinant :

— Ne pleure pas, petit… Nous aurons bien soin de toi… Il y a encore de la place pour un chez le papa Labarou… Tu vas venir avec nous… Tu seras de la famille…

L’enfant, adossé à une souche, ne répondait pas.

Seulement, il souleva un instant ses paupières et fixa ses prunelles, très noires et très lumineuses, sur Arthur, comme pour s’assurer s’il avait affaire à un ami ou à un ennemi.

Puis il courba de nouveau le front, gardant un silence farouche.

Sans se décourager, le jeune Labarou lui releva doucement la tête, le forçant ainsi à le regarder.

Puis, d’une voix engageante :

— Tu me comprends, dis ?

L’enfant fit un signe affirmatif.

— Tu n’as pas peur de nous, n’est-ce pas ?

Mouvement de tête négatif.

— Alors, pourquoi ne parles-tu pas ?

Le petit sauvage mit un doigt dans sa bouche, fit mine de le mâchonner, puis dit enfin :

— Manger !

— Tu as faim, petit ? s’écria Arthur.

— Moi aussi ! dit Gaspard, jusque-là spectateur muet.

— Ah ! ah ! je m’explique… fit en riant le plus jeune des Labarou. Ce garçon-là ne veut pas faire mentir le proverbe : « Ventre affamé n’a point d’oreilles ! » Eh bien, puisque c’est comme ça, mangeons un morceau… Seulement, pour manger un morceau, il faut l’avoir sous la main.

— L’ours ! fit laconiquement Gaspard.

— Tu deviens fou !… On ne mange pas de ce gibier-là ! se récria Arthur.

— Demande à ce moricaud, ton nouvel ami.

L’enfant, sans attendre la question, répondit aussitôt :

— Bon, bon, l’ours.

Puis il se prit à mâcher à vide, de façon si drôle, que les deux cousins eurent une folle envie de rire.

Ce que voyant, le petit sauvage sourit à son tour et se leva.

Alors, s’armant de son couteau-poignard, avec lequel il s’était si bien escrimé tout à l’heure, il s’approcha de l’ours et se mit en frais de lui fendre le ventre.

Gaspard ouvrait la bouche pour l’arrêter, dans la crainte qu’il n’abîmât la peau, mais il se rassura aussitôt en voyant avec quelle dextérité le garçonnet opérait.

Il se contenta de lui venir en aide, afin que la besogne fût plus vite expédiée.

Arthur, lui, profita d’un moment où l’enfant, tout occupé à son travail, lui tournait le dos, pour enlever prestement le corps du père et le dissimuler, quelques pas plus loin, derrière une touffe de bruyère.