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petite embarcation en détresse et hélaient l’homme, endormi ou mort, qui se trouvait couché dedans.

Comme cet homme, tout en ne répondant pas, semblait, tout de même avoir un reste de vie, un des mathurins, s’accrochant aux sous-barbes du beaupré, guetta le chaland au passage et s’y laissa choir.

Un grelin lui fut jeté par ses camarades, et, une minute plus tard, le naufragé, attaché solidement sous les bras, était hissé à bord.

D’où venait-il ?

On ne s’en inquiéta pas.

C’était une victime de la mer, et la grande fraternité des marins n’a pas besoin des formalités d’une enquête pour secourir un camarade.

Le capitaine, — un jeune homme d’une trentaine d’années, au plus, — fit transporter l’inconnu dans sa propre cabine, où un cadre se trouvait libre, et se chargea lui-même des premiers soins à donner. Après quoi, appelé à ses devoirs de commandant, il se fit remplacer par un homme de confiance.

Pendant trois jours, le naufragé fut en proie à une fièvre ardente, marmottant des phrases incohérentes, poussant des cris de détresse, appelant au secours, d’une voix navrée…

Puis le sang se tiédit, les nerfs s’apaisèrent, le sommeil vint…

Il était sauvé !

— Où suis-je ? demanda-t-il au capitaine, un beau matin.

— Sur l’Atlantique, fut la réponse.

— Et nous allons ?…

— Dans les Indes, à Ceylan.

Arthur se recueillit un instant pour rappeler ses souvenirs.

Mais, en dépit de tous ses efforts, sa mémoire ne lui disait rien, après le cri entendu au sein de la tempête, sur l’îlot submergé, — ce cri d’enfant appelant : « Petit père ! »

— Wapwi ! pensait-il… C’était Wapwi !… Et c’est le chaland qu’il montait qui m’a recueilli… Mais lui, le cher petit, qu’est-il devenu ?… noyé, sans doute… Pauvre enfant !

Et Arthur sentait des larmes courir dans ses yeux, à cette triste pensée.

— Capitaine, dit-il, mon malheur est plus grand que vous ne le pensez, et, puisque la Providence a voulu que je fusse sauvé par un compatriote… car vous êtes Français, n’est-ce pas ?

— Canadien-français, de Québec, répondit le capitaine.

— C’est tout comme… Eh bien, je ne veux rien vous cacher ; je ne suis pas un naufragé, capitaine !

— Alors ?… fit le marin, étonné.

— Je suis la victime du plus lâche attentat qui se puisse imaginer… J’ai été abandonné sur un îlot perdu, à marée basse, avec la perspective d’une lente agonie et d’une mort inévitable, quand la mer viendrait à couvrir mon rocher, au montant.

— C’est horrible, cela ! interrompit le Canadien, s’approchant du naufragé avec un redoublement d’intérêt.

— Laissez-moi vous raconter cette histoire, qui ressemble à un conte des Mille et Une Nuits.