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cautions infinies vers les loups-marins, dont quelques-uns, inquiets et humant l’air, commençaient à s’agiter.

Une décharge générale en coucha bientôt une demi-douzaine par terre.

Six coups de feu avaient éclaté : — six phoques étaient blessés à mort.

Aussitôt, le bâton à la main, tout le monde courut aux autres, qui se précipitaient, dans toutes les directions, vers la mer.

C’est la partie la plus excitante de la chasse aux loups-marins.

Chacun trépigne, frappe, saute, court…

On entend de sourdes exclamations : han ! han ! des cris d’appel, les plaintes quasi-humaines des bêtes assommées, les ordres échangés.

Puis, de temps en temps, un coup de fusil tiré sur quelque vieux loup-marin rusé, se glissant en tapinois vers la mer.

C’est une cacophonie à rendre sourd un… pot à tabac.

Soudain, au beau milieu de ce tapage incohérent, un cri perçant se fit entendre, — un cri lancé par une voix de femme.

Tout le monde se retourna.

Euphémie Labarou était là, avec les hommes.

Mais Suzanne, debout sur un glaçon qui plongeait dans l’eau par un de ses bords, était entraînée par le courant.

Les trépignements des chasseurs avaient fracturé la glace, amincie par un commencement de dégel, et la jeune fille, toute entière au spectacle de la tuerie auquel elle assistait, venait seulement de s’apercevoir qu’elle s’en allait à la dérive, sur un frêle glaçon à demi-submergé.

Une voix forte cria aussitôt, répondant à l’appel strident de la naufragée :

– Ne bougez pas !… Que personne ne bouge !…

Et Gaspard, enlevant en deux tours de mains ses lourdes bottes, s’élança, vif comme un écureuil, vers la jeune fille, qu’il saisit tout courant et ramena de même, en sautant d’un glaçon à l’autre.

Cela s’était fait si vite, qu’on ne s’étonna de cet acte de courageuse agilité qu’au moment même où Suzanne était déposée dans une des chaloupes.

Alors chacun, en voyant danser les fragments de glaces où Gaspard avait mis les pieds pour arriver à la jeune fille et revenir à terre, put juger de l’audace du sauveur et du danger couru par la naufragée.

On était trop habitué, là-bas, aux péripéties d’une existence aventureuse, pour se mettre la bouche en cœur et entonner un hymne à l’adresse du héros de ce coup de hardie vélocité.

Les hommes, la respiration encore coupée par l’émotion, dirent simplement : « Très bien, Gaspard ! »

Mimie, elle, sentit monter à ses tempes deux jets de sang rapides et brûlants…

Quant à Suzanne, disons à sa louange qu’elle eut un élan tout spontané de reconnaissante admiration…

— Monsieur Gaspard, dit-elle en lui tendant les deux mains, merci : je me souviendrai !