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disposa à affronter courageusement l’ennui et l’horreur même d’un hiver labradorien.

Si nous disons : l’horreur, c’est une façon de parler…

Il est des horreurs sublimes, et les grands spectacles de la saison hibernale, sur les bords du golfe Saint-Laurent, sont de celles-là !

Ces versants de montagnes drapés de neige, que trouent ci et là les forêts saupoudrées de blanc et les rochers rougeâtres ; ces cascades coulant sous une carapace de cristal, à travers laquelle miroitent les eaux écumantes ; ces ponts de glace couvrant les baies et endiguant le fleuve lui-même jusqu’à plusieurs arpents du rivage ; le silence qui règne partout, comme si la terre se taisait pour mieux entendre la grande voix du fleuve entrechoquant ces banquises flottantes, balançant ces ice-bergs ou démolissant d’un heurt géant quelque château de glace allant au fil de l’eau, — tout cela est bien beau à contempler et ne manque certainement pas de poésie…

Mais c’est de la poésie triste, de la beauté empreinte de mélancolie.

Si l’âme s’élève, le cœur se serre.

L’homme se sent petit en face des grands spectacles de la nature, et instinctivement il souhaite les rapetisser, pour qu’ils conviennent mieux à sa taille.

L’année 1852 se termina par une effroyable tempête de neige, qui sévit sur la côte.

On ne la regretta pas.

Puis les trois mois suivants défilèrent lentement, sans grandes distractions, si ce n’est pour les chasseurs, qui firent une abondante récolte de gibier à poil.

Avril vint enfin et, avec lui, la perspective riante d’un des sports les plus émouvants de la région du golfe : la chasse aux loups-marins.

Dans les conditions d’isolement où se trouvaient les deux seules familles habitant la baie de Kécarpoui, on ne pouvait naturellement songer à la grande chasse en goélette, à travers les banquises flottantes, — comme la font les Acadiens, les meilleurs marins du golfe.

Il faut, en effet, non seulement de bons vaisseaux blindés avec de forts madriers de bois dur pour résister à la pression des glaces en mouvement, mais encore un équipage d’une dizaine d’hommes pour la manœuvre, la tuerie et le dépeçage, quand on veut faire la chasse en grand.

À Kécarpoui, on dut se contenter d’observer les points extrêmes de la baie, et surtout l’Îlot du Large, autour duquel une batture assez étendue se consolidait tous les hivers.

Les Labarou, connaissant depuis de longues années les habitudes locales de la faune de cette région, savaient fort bien que les loups-marins avaient fait de la Sentinelle un endroit de villégiature fort achalandé.

Aussi les peaux et l’huile de ces utiles animaux avaient-elles toujours contribué, pour une bonne part, au bien-être relatif dont ils jouissaient.

On se tenait donc aux aguets, des deux côtés de la baie, — lors-