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Songez donc !

Lorsque quelques heures à peine la séparaient du moment où elle allait être unie à l’élu de son cœur, la plus terrible des catastrophes était venue anéantir cet espoir, briser ce rêve !…

Et cela, du jour au lendemain, en pleine fièvre de préparatifs matrimoniaux… comme un grand coup de foudre dans un ciel clair !

Près de trois semaines s’étaient écoulées depuis la sinistre disparition de son fiancé, et c’est à peine si la pauvre Suzanne parvenait à réaliser sa situation de veuve avant d’avoir été mariée.

Il convient d’ajouter que tout le monde, au Chalet, lui montrait une sympathie émue, – Louis surtout, qui adorait sa sœur.

Combien de fois le jeune homme n’avait-il pas traversé la baie pour aller aux informations et porter aux parents du pauvre Arthur les condoléances de la fiancée, trop faible encore pour s’y rendre elle-même !

Bref, Suzanne avait été très malade et pouvait être considérée, après deux semaines de crises nerveuses et de larmes, comme une convalescente à sa première sortie.

On s’abstenait donc, en sa présence, de toute allusion au drame de l’Îlot, et le mot d’ordre était de n’avoir pas l’air d’être sous le coup d’une des plus fortes émotions qu’eût encore éprouvée la petite colonie.

La conversation, toutefois, ne pouvait être bien animée ; et, aussitôt le repas terminé, chacun se retirait pour vaquer à ses occupations.

Il en fut ainsi pendant quelques semaines…

Puis le temps, qui affaiblit les tons crus de toute douleur humaine, en y étendant sa patine grisâtre, amena une détente dans les esprits, une sorte d’apaisement dans les cœurs…

Et c’est dans ces conditions de tranquillité morale relative que la petite colonie de Kécarpoui entra dans cette période d’isolement absolu, ressemblant un peu à un emprisonnement au milieu des glaces polaires, et qui s’appelle : Un hiver au Labrador

XXIV

SUR UN GLAÇON FLOTTANT


Dès les premiers jours de novembre, la neige commença à tomber, — une neige molle, humide, rayant diagonalement l’atmosphère embrumée par le sempiternel nordet, chargé de vapeurs d’eau refroidies.

On remonta les goélettes jusqu’au fond de la baie, où elles furent dégréées et mises en hivernement définitif.

Le bois de chauffage, les provisions de bouche, les engins de pêche, les agrès des barques, tout cela fut soigneusement remisé ou encavé.

Puis, satisfait d’avoir pris toutes les précautions voulues, on se