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Il nous est interdit, — auteur scrupuleux que nous sommes — de soulever, dans ce premier volume, même un coin du voile qui recouvre les faits et gestes des Pirates du Golfe Saint-Laurent.

Mais on ne perdra rien pour avoir attendu.

Ce qu’il nous est permis de confier à nos lecteurs, dès maintenant, c’est qu’après un conciliabule qui dura près d’une heure, le capitaine canadien se rembarqua avec les deux Français et que le Marsouin, bien lesté de provisions et d’espèces sonnantes, cingla aussitôt vers les îles Miquelon.

L’équipage de la Marie-Jeanne, ainsi que le charpentier du bord, continuèrent d’habiter le Petit-Mécatina, occupés à radouber leur goélette avariée et à faire une besogne bien autrement… mystérieuse.

XXIII

CHASSÉ ET MAUDIT


Quand la goélette de Noël reparut dans la baie de Kécarpoui, au commencement du mois d’octobre, après une absence d’un peu plus de deux semaines, un voile de deuil planait sur la petite colonie.

Depuis une dizaine de jours, on était entré dans cette longue période d’isolement qui, là-bas, ne se termine qu’à la réouverture de la navigation, en mai.

Le missionnaire était bien venu, comme d’habitude, donner aux pêcheurs de ce lieu solitaire l’opportunité d’accomplir leurs devoirs religieux… Mais, loin d’avoir à bénir l’union de deux jeunes gens pleins d’amour et d’espoir, il avait dû, hélas ! prodiguer des consolations à une famille plongée dans une douleur mortelle, par la disparition d’un de ses membres, et présenter à une fiancée dont le cœur saignait, au lieu d’une couronne de fleurs d’oranger, la couronne d’épines de la résignation chrétienne…

Il va sans dire que ce messager de paix, saisi du différend qui existait entre les deux familles, n’avait pas eu grande peine à faire disparaître les hésitations de madame Noël à propos de la mort sanglante de son mari.

Une déclaration écrite du mourant, attestant la complète innocence de Jean Labarou et corroborant le récit circonstancié de celui-ci, ne contribua pas peu à ce résultat ; et le missionnaire eut au moins la consolation, en partant, de voir les chefs des deux seuls établissements de la baie unir fraternellement leurs mains, en signe de pardon et d’oubli.

Le retour de la Saint-Malo, — désormais le Marsouin, de par le caprice de maître Thomas, — raviva pourtant la plaie encore saignante de la disparition d’Arthur.

Mais on ne put tout de même s’empêcher, — à l’est de la baie, du moins, — de reconnaître le dévouement des deux marins qui venaient de faire une si rude croisière à la recherche de leur malheureux ami.

Toutefois, — en dépit de la meilleure volonté du monde, — la famille Labarou ne réussit pas à dissimuler l’horreur instinctive que lui inspirait Gaspard depuis la catastrophe.