Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Nous ferons mieux que cela, ami Gaspard : nous en jouirons à gogo, — car le moment approche où nous pourrons mettre à exécution nos projets.

— Ah ! puisses-tu dire vrai !

— Cette saison est trop avancée pour que notre petite expédition actuelle soit autre chose qu’un coup d’essai, destiné à nous faire la main. Mais… que nous réussissions, et, l’année prochaine, ayant un solide vaisseau sous les pieds, Thomas Noël et Gaspard Labarou en feront voir de « belles » aux gabelous de France et du Canada.

— Ami Thomas, je te l’ai dit : je suis ton homme, et je veux être riche pour que ta sœur Suzanne soit un jour la plus grande dame du Golfe.

— Cela sera, répondit le jeune Noël, d’un ton moitié figue, moitié raisin.

— Il faudra bien que cela soit car… je le veux, entends-tu !

Et Gaspard accentua d’un geste énergique cette phrase quelque peu prétentieuse.

Thomas lui jeta un regard inquisiteur et vit bien que son associé était homme à remplir l’engagement qu’il prenait.

— Tu auras ma sœur, ami Gaspard… Je te la promets !… dit-il avec la gravité d’un père de famille bien posé.

La nuit était venue, cependant, — une belle nuit, nom d’un phoque ! — mais un peu trop éclairée par la lune à peine déclinante, au dire des deux amis.

Bien qu’allant à contre-courant depuis quelque temps, la goélette avait pu continuer sa marche, après avoir viré de bord un certain nombre de fois et s’être insensiblement rapprochée de la côte, où la brise de terre, soufflant ferme, l’avait poussée assez rapidement vers sa destination mystérieuse.

À la reprise du courant de montant, les allures du vaisseau s’accentuèrent.

La brise de terre fraîchit, et toute conversation suivie devint impossible, chacun des deux marins ayant assez à faire de diriger la marche rapide de la goélette.

On courut ainsi, serrant la côte d’assez près, jusqu’à la hauteur du Petit-Mécatina, — une île d’aspect sauvage, hérissée de rochers aux formes romantiques, où les rayons lunaires plaquaient des taches blafardes alternant avec les ombres projetées…

Sur la droite, vers la côte nord, des îles nombreuses se dessinaient vaguement, les unes comme des taches sombres, les autres ayant l’air de grands cachalots endormis…

C’est du côté gauche, au large d’eux, par conséquent, qu’apparut pour la dernière fois aux yeux de nos jeunes aventuriers la charpente massive du Petit-Mécatina.

Ils venaient de virer de bord, après une assez longue bordée vers la côte, lorsque, dans la pâle clarté lunaire, à un demi-mille environ en avant du beaupré de leur goélette, s’estompa sur le fond bleuâtre du firmament, de façon indécise d’abord, puis progressivement avec plus de netteté, une masse énorme, de forme irrégulière, mais très élevée partout, faisant un trou noir à l’horizon…