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cas, il met tout bonnement au rancart cette placide vertu des gros naïfs, la bonté.

Alors, pourquoi le capitaine Thomas, flanqué de son alter ego Gaspard, court-il la mer ?

Eh bien, puisqu’on veut le savoir absolument, nous allons le dire : c’est pour « faire un coup », un bon coup… d’argent !

Voilà !

Dans leurs longues pérégrinations du mois précédent, à travers le golfe, les deux compères ont fait la connaissance d’un certain industriel canadien, navigateur de son état, qui leur a promis une jolie prime s’ils voulaient l’aider à mener à bonne fin une expédition de contrebande, des îles françaises de Miquelon, au sud de Terreneuve, à la ville canadienne de Québec.

Leur rôle, à eux, sera des plus simples…

Ils n’auront qu’à transporter le chargement… hérétique, de Saint-Pierre à la côte canadienne, où ce chargement sera transbordé sur une goélette de Québec, attendant à un endroit convenu de la région du Labrador.

Tout ira donc pour le mieux, à moins que le diable ou le Fisc, — ce qui est à peu près la même chose, — ne s’en mêle.

Le seul anicroche possible est le naufrage du vaisseau portant à leur rencontre l’associé attendu.

Il a si fort venté de l’est, les jours précédents, que cette crainte n’est certainement pas chimérique.

Mais, entre marins, on ne croit guère à ces pronostics des gens de terre, qui s’écrient à chaque rafale secouant les ais de leur habitation : « Hein ! il en fait un temps !… Ce n’est pas moi qui voudrais être sur le fleuve, par une semblable dépouille ! »

Ce n’est donc pas à une catastrophe que croient nos deux jeunes Français, mais bien plutôt à un retard subi par leur confrère de Québec.

— Ça ne m’étonnerait pas, tout de même, que notre homme eût été empêché… disait Thomas : — sa barque ne payait pas de mine ! Quel sabot, nom d’un phoque !

— Bonne goélette… répliquait Gaspard d’un air mystérieux… Un peu avariée, c’est vrai ; mais elle n’a une apparence misérable que pour tromper les gabelous.

— Au fait, peut-être as-tu raison… Je l’ai encore dans l’œil : fine de l’avant, large de bau, évidée de l’arrière, — ça doit bien marcher…

— Et bien résister à la mer, car la cale est profonde…

— Avec ça que le lest ne lui manque ni à l’aller ni au retour.

— Parbleu !… Farine et autres provisions en descendant, pour faire manger les amis d’en-bas !…

— Liqueurs fortes et vins de France, en remontant, pour abreuver les bonnes gens d’en haut !

— Le joli négoce !

— La belle existence !

— J’en tâterais volontiers.