Il était temps…
La goélette abaissant ses voiles rapidement, jetait l’ancre à quelques jets de pierre de la batture.
Une chaloupe s’en détacha aussitôt.
Thomas et Gaspard, qui avaient sauté dedans, ramèrent hâtivement vers le rivage.
Ils semblaient très pressés.
À peine, en effet, leur embarcation eut-elle touché terre, que, jetant à bout de bras son ancrage, ils s’élancèrent vers la côte.
En passant près de la chaloupe crevée, les deux compères y firent une première station, et Gaspard parut donner à Thomas de rapides explications, illustrées par des gestes très démonstratifs et l’examen minutieux du bordage où béait l’ouverture.
De là, Gaspard guida son compagnon vers le rocher sur lequel la chaloupe était venue se crever.
Après l’échange de quelques phrases et un examen de la fracture, que l’on sait, Gaspard courut vers la côte, disparut sous bois et se dirigea vers l’endroit où il avait jeté la partie du rocher manquant.
Il voulait, sans l’ombre d’un doute, éblouir son copain, par l’étalage de précautions qu’il avait prises.
Mais il revint bientôt, l’oreille basse, la mine soucieuse, grommelant :
— C’est drôle… Je ne retrouve plus… Pourtant, je crois bien me souvenir d’avoir jeté là cette pointe ensorcelée…
— Laissons donc !… fit Thomas. Qui serait venu ?… Et surtout, qui aurait été déterrer cette pierre au milieu de ce fouillis ?
— Au fait… dit l’autre… je suis fou d’avoir des idées pareilles… Quand je serai plus calme, je mettrai bien la main sur ce morceau de roc.
Pendant quelques minutes, l’entretien se poursuivit, Gaspard parlant, contre son habitude, avec une certaine volubilité, tandis que Thomas avait l’air de poser froidement une série d’objections.
Finalement, on en arriva à s’entendre et se convaincre mutuellement, sans doute, car, tournant le dos à la côte, les nouveaux venus retournèrent à la chaloupe crevée.
Ici encore se manifesta l’extrême prudence de maître Thomas.
Il se pencha longtemps sur l’ouverture irrégulière découpée par la pointe de rocher, l’examina des deux côtés, extérieur et intérieur, puis finalement acheva d’arracher le bordage entamé, jusqu’à mi-joint, en le déclouant à coups de pierre.
Cela fait, les deux compères reprirent le chemin de leur embarcation et se rembarquèrent, non toutefois sans avoir jeté au fleuve le bout de planche suspect.
Dix minutes plus tard, la goélette, toutes voiles hautes s’éloignant de la côte, gagnait la haute mer.
— Nous n’avons plus rien à faire ici, dit à son compagnon Euphémie Labarou. Mais nous n’avons pas perdu notre temps, petit Wapwi, car nous venons de démasquer, je le jurerais, deux bien grands misérables !…