C’est que, lui aussi, se sent au cœur une appréhension étrange, un malaise indéfinissable, quelque chose comme un pressentiment de danger dont il ne se rend pas compte.
Et, pourtant, en cette soirée de juillet que rafraîchit la brise venue du Pôle, tout est si calme dans la nature assoupie, qu’il faut vraiment être marin pour éprouver cette mélancolie anxieuse qui enserre les cœurs habitués à battre sous l’impression reçue par le spectacle des grands horizons.
Mais le capitaine n’est pas là pour philosopher, ni pour rêver.
Il accoste, attache son canot et, empoignant les haubans de misaine, d’un seul élan, il est sur le pont du « Vengeur. »
Les matelots l’ont entendu manœuvrer et sont à leur poste pour le recevoir.
— Eh bien ! fait le capitaine, rien de nouveau ?… Tout est paré ?
— Paré, astiqué, « suivé » !… répond le commandant du bord.
— Les cabines ?…
— De vrais boudoirs.
— Et le gréement ?
— En parfait ordre : pas un filin qui manque.
— Allons, c’est bien… Nous partirons vers les huit heures.
— C’est entendu, capitaine.
— Maintenant, mes amis… au revoir. Qui est de quart, de trois heures à six ?
— José Poquin, la Grand’Ficelle.
— Va pour toi, José. N’oublie pas d’observer le Golfe et de relever les vaisseaux de passage.
— On aura l’œil ouvert, capitaine… répondit le surnommé la Ficelle, grand « jack » d’une maigreur invraisemblable.
— Allons, bonsoir. Dormez un peu.
— Bonne nuit, capitaine.
Arthur Labarou se disposait à enjamber le bastingage et à s’ « affaler » dans son canot, lorsqu’il s’arrêta net, cloué au pont par un cri perçant, quoique étouffé, qui semblait partir du chalet.
Il devint tout pâle et dit à son commandant :
— Avez-vous entendu, Duval ?
— Si… On dirait un cri de femme…
— Suzanne ! c’est Suzanne !… Que se passe-t-il ?
Et, enjambant le plat-bord, Arthur Labarou sauta, plutôt qu’il ne se laissa glisser, dans l’embarcation.
D’un coup d’aviron, il s’éloigna, disant d’une voix rapide :