tout comme s’il n’eût pas, quelques heures auparavant, assommé un homme et séquestré une fille.
Le remords – cet hôte implacable qui vient s’asseoir dans les consciences bourrelées – ne se montra même pas à l’horizon, et l’âpre chercheur de dot se leva de table, n’ayant plus en tête que des idées riantes.
Il repassa dans son salon et s’étendit nonchalamment sur une causeuse ; mais cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’un violent coup de sonnette retentit.
« Ah ! ah ! voici mes collaborateurs, se dit Lapierre. »
Et il gagna en toute hâte une petite pièce, située tout à fait au fond de la maison et qu’il appelait judicieusement son "cabinet privé".
Là, en effet, ne pénétraient que quelques rares privilégiés et ne se traitaient que des affaires plus ou moins véreuses ; il y allait plus de gens dignes de coucher à la prison, que de figurer au bal du lieutenant-gouverneur.
C’est que Lapierre, avec ses instincts innés de crime et l’éducation pernicieuse qu’il avait puisée dans les camps américains, en qualité d’espion, éprouvait le besoin de se créer, à Québec, une double existence : l’une au grand jour, irréprochable, élégante, presque fastueuse, avec ses exigences multiples, tant au point de vue du logement et des relations, qu’à celui du domestique en livrée de rigueur ; l’autre cachée, cauteleuse et enveloppée de ténébreuses précautions.
Voilà pourquoi ce maître en fait d’intrigues avait chez lui deux lieux de réception : l’un public, donnant sur la rue, l’autre privé, prenant jour du côté de la cour.