son aurore. Une sorte de résille emprisonne sa chevelure grise et permet à sa figure anguleuse, heurtée, de se détacher en vigueur… La bonne femme culotte tranquillement un brûle-gueule, pendant que, d’un genou distrait, elle bat la mesure de ses pensées.
Cette estimable contrebandière répond au doux nom de la "mère Friponne" – une petite appellation d’amitié qui lui vient de ses pratiques.
En face d’elle, et accoudé fantastiquement sur la grande table, se voit le digne rejeton de la mère Friponne. C’est un grand garçon d’un blond fadasse, efflanqué, boursouflé, à l’œil atone, aux chairs flasques. Tout indique chez cet être dégradé l’abrutissement le plus complet.
À portée de sa main, sur la table, il y a une bouteille et une petite tasse de fer-blanc. De temps à autre, le brave garçon se verse une rasade et l’avale – histoire d’apaiser sa faim, en attendant le souper qui retarde.
À un moment donné, la vieille retire son brûle-gueule de ses lèvres, arrête le mouvement cadencé de son genou, relève son nez pointu et apostrophe ainsi son aimable rejeton :
« Ah ! çà, vilain garnement, vas-tu bientôt cesser de boire ? Tu es rendu à ton sixième verre depuis une demi-heure. »
À laquelle apostrophe le vilain garnement répond d’une voix enrouée :
« C’est pour empêcher le gosier de me racornir.
— Ivrogne ! bois de l’eau.
— L’eau m’est contraire.
— Voyez-vous ça !… monsieur qui a des délicatesses d’estomac !