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fillette à son couvent ; au moment le plus pathétique de la narration, il s’embarrasse des amours de ces adolescents qu’on ne connaît pas et à qui on ne porte aucun intérêt.

Enfin, pour mettre sous les yeux de la façon la plus frappante le dévouement, l’abnégation et l’obéissance de la malheureuse créature, Boccace, d’accord sans doute avec la légende populaire, raconte que le marquis veut la renvoyer chez son père « avec ce qu’elle lui a apporté en mariage, » c’est-à-dire complètement nue. Griselidis alors demande qu’en échange de sa virginité, il lui accorde du moins une chemise[1].

  1. i. C’est dans les conteurs du xive siècle qu’il faut lire ce passage pour en apprécier toute la grâce naïve : «… Nue vins de chies mon père et nue là retournay se tu ne reputes et tiens chose vil et mal gracieuse, comme je crois que tu feroies, que ce ventre-cy qui a porté les enfants que tu as engendrez soit veu nuz ou descouvert au peuple ; pour la quelle chose se il te plaist et non autrement, je te supplie que, ou prix et pour la virginité que je apportay avec toi, la quelle je n’emporte mie, laisse-moi une des chemises que je avoie quand j’estoie appellée ta femme. » Lors ploura forment de pitié le marquis, si que à paine contenir se povoit ; et ainsi, en tournant son visage en pleur tout troublé, à paine puet dire mot. « Doncques te demeure, dist-il, celle que tu as vestue. » « Et ainsi se parti celle sans plourer, et devant chacun se devest, et seulement retint la chemise que vestue avoit, et la teste découverte s’en va et en cet estât la virent plusieurs gens plourans et maudissans fortune ; et elle seule ne plou-roit point, ne ne disoit mot. Et ainsi se retourne en l’ostel de son père, et ly bons homs son père qui adès avoit le mariage suspet, ne oncques n’en avoit esté seur, ains doubtoit touziours que autre chose n’en avenist, vient à l’encontre des gens à cheval sur son sueil, et de la povre robelète que touziours luy avoit gardée la couvrit à grant mésaise, car la femme estoit devenue grande et embarmé, et la povre robe enrudié et empirée… » (Bibliothèque nationale, Ms 1165.)