Page:Deulin - Les Contes de ma mère l'Oye avant Perrault.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

le donner à ses vers, et le vieux langage, qui suffisait à la bonhomie malicieuse de contes grivois ne lui semblait pas encore assez naïf pour présenter aux enfants les fées, les ogres et les petits Poucets. Dans cette perplexité, la narration de son fils lui fut un trait de lumière. Sous cette plume inexpérimentée, il trouvait le vrai style du conte de fées, le bégayement des nourrices[1].

  1. On jugera peut-être que, dans cette découverte d’un style, nous faisons au jeune Perrault d’Armancour une part trop considérable et au-dessus de la portée d’un enfant. Pour répondre à cette objection, nous demanderons la permission de citer la lettre ci-dessous. Elle a été écrite, après le siége de Paris, par une petite fille de onze ans qui venait de passer une année entière loin de ses père et mère, et qu’on hésitait à faire ramener dans la ville en proie aux premiers troubles de la Commune.
    « Villers-sur-Mer, 15 mars 1871.
    « Mon cher père,
    « Tu ne sais pas ? Eh bien ! tout le monde part, et nous, nous ne partons pas. Tous nos amis partent demain, et moi je pleure !… Je voudrais bien vous voir. Je parle du moment où nous allons partir, et puis je pense que ce n’est pas demain, et je me mets à pleurer, et puis je dis à grand’mère que je ne veux plus rien faire ; puis, cinq minutes après, comme je m’ennuie, je reprends mon tricot et je tricotte. Au fait, tu ne sais pas ? Eh bien ! j’ai fini mes bas. Ils ont des petits pieds comme des petits amours ; ils sont tout à fait jolis. Je suis en train de faire une garniture de bonnet pour le petit D. Mme D. part demain à cinq heure du matin, et nous, nous ne partons pas ! J’ai cependant tout ce qu’il faut pour partir : je suis vaccinée, ça a bien pris, les croûtes sont tombées et j’ai une mine excellente. Fais-nous donc bien vite revenir. Si tu savais comme j’ai envie de vous voir !
    « Vois-tu, j’ai dis à grand’mère : Brûle tout le bois que nous avons pour partir plus vite ; grand’mère a répondu que ce ne serait pas cela qui nous ferait partir plus vite.
    « Au fait, tu ne m’a pas encore dis comment allait Cora* si on l’avait mangée ou si elle vivait encore.
    « Adieu, mon cher père, je t’aime et t’embrasse,
    « Ta fille,
    « FRANÇOISE.
    « Tu diras à mère Anne que je l’embrasse. Grand’mère te fais ses compliments. »
    Cette lettre est authentique. Nous n’avons fait que la ponctuer et, ainsi qu’on l’a vu, nous en avons respecté les fautes d’orthographe. Croit-on que l’enfant qui a trouvé dans sa tête et dans son cœur cette page si naturelle et si naïvement passionnée, — non toutefois sans une pointe de malice, — n’eût pas été capable d’écrire de mémoire un Petit Chaperon Rouge à l’état brut, quelque chose comme la version patoise du Petit Poucet que nous donnons plus loin ?
    *Sa tortue.