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Contes d’un buveur de bière

Quand son hôte eut fini, Misère l’enveloppa dans sa vieille couverture de futaine, & le força de se coucher sur sa paillasse, tandis qu’elle-même s’arrangeait pour dormir la tête appuyée sur son escabeau.

Le lendemain, Misère s’éveilla la première :

« Je n’ai plus rien, se dit-elle, & mon hôte va jeûner. Voyons s’il n’y a pas moyen d’aller quêter dans le village. »

Elle mit le nez à la porte : la neige avait cessé de choir & il faisait un clair soleil de printemps. Elle se retourna pour prendre son bâton & vit l’étranger debout & prêt à partir.

« Quoi ! vous partez déjà ? dit-elle.

— Ma mission eſt remplie, répondit l’inconnu, & il faut que j’aille en rendre compte à mon maître. Je ne suis point ce que je parais : je suis saint Wanon, patron de la paroisse de Condé, & j’ai été envoyé par Dieu le Père pour voir comment mes fidèles pratiquent la charité, qui eſt la première des vertus chrétiennes. J’ai frappé à l’huis du bourgmeſtre & des bourgeois de Condé, j’ai frappé à l’huis du seigneur & des censiers de Vicq ; le bourgmeſtre & les bourgeois de Condé, le seigneur & les censiers de Vicq m’ont laissé grelotter à leur porte. Toi seule as eu pitié de mon malheur, & tu étais aussi malheureuse que moi. Dieu va te le rendre : fais un vœu, il s’accomplira. »