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Contes d’un buveur de bière

Chez nous, quand les fumées du vin envahissent le cerveau, quand le divin jus bout sous le crâne, comme la lave au fond du cratère, c’eſt alors seulement que l’imagination prend feu.

Au sixième verre, le Flamand voyait immanquablement devant ses yeux, au bras de jolis danseurs, des myriades des Flandrines qui lui faisaient la nique en exécutant d’interminables carmagnoles.

Alors il chercha l’oubli tour à tour dans le cidre normand, le poiré manceau, l’hydromel gaulois, le cognac français, le genièvre hollandais, le gin anglais, le wiskey écossais, le kirsch germain. Hélas ! le cidre, le poiré, l’hydromel, le cognac, le genièvre, le gin, le wiskey & le kirsch ne firent qu’alimenter la fournaise. Plus il buvait, plus il s’excitait, plus il enrageait.

Un soir, il n’y put résiſter davantage : il courut tout d’une traite au bois d’Odomez, grimpa au chêne, attacha la corde, &, sans lever les yeux — pour être bien sûr de n’en point revenir, — il s’élança la corde au cou. La corde se rompit net & le pendu tomba dans les bras du chasseur vert.

« Veux-tu bien me lâcher, maudit impoſteur ? s’écria Cambrinus d’une voix étranglée. Comment ! on ne pourra même point se pendre à son aise ! »

Belzébuth éclata de rire.