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Contes d’un buveur de bière

Aussi tous les arbres des Pays-Bas donnèrent-ils, cette année-là, de singuliers fruits : chacun d’eux portait trois ou quatre pendus. Les corbeaux, par l’odeur alléchés, accoururent en bandes de tous les points de l’horizon. Il en vint une telle quantité que le ciel en était obscurci, & que ni la lune ni le soleil ne purent montrer le bout de leur nez.

Bien que l’air fût infecté par les exhalaisons de tant de corps morts, on remarqua, comme une chose extraordinaire, que les gens du pays ne s’étaient jamais si bien portés qu’après cette immense pendaison de médecins.

Il fallut que la princesse se résignât à garder ses cornes.

Pour la consoler, les seigneurs & les dames de la cour lui assurèrent effrontément qu’elles lui seyaient à merveille, & que, loin de la défigurer, elles ajoutaient je ne sais quelle grâce piquante à sa physionomie. Ils poussèrent même la flatterie jusqu’à manger le reſte de la corbeille de prunes, & on ne vit jamais une cour si bien encornée que la cour du roi des Pays-Bas.

Comme il n’y en avait point assez pour que chacun en eût sa part, ceux ou celles qui ne purent en obtenir se firent planter des cornes poſtiches. Bientôt on eſtima cette coiffure fort belle, parce qu’elle était bien portée, & de là vint sans