Page:Deulin - Contes d’un buveur de bière, 1868.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.

6
Contes d’un buveur de bière

viole sur les épaules & le renvoyèrent hué, conspué & les yeux pochés.

Pour comble de malheur, il y avait à cette époque à Condé un juge qui rendait la juſtice comme les épiciers vendent de la chandelle, — en faisant pencher à son gré les plateaux de la balance. Il était bègue, parlait presque toujours en latin, marmottait des patenôtres du matin au soir & ressemblait si fort à un singe qu’on l’avait surnommé Jocko.

Jocko apprit l’affaire & fit citer les perturbateurs à son tribunal. Les Fresnois y allèrent, portant chacun une couple de poulets qu’ils offrirent à M. le juge. Celui-ci trouva les poulets si gras & Cambrinus si coupable que, bien que le malheureux eût été battu en plein soleil, il le condamna à un mois de prison pour voies de fait & tapage nocturne.

Ce fut un grand crève-cœur pour le pauvre garçon. Il était tellement honteux & désolé qu’en sortant de prison il résolut d’en finir avec la vie. Il détacha la corde de son puits, qui était toute neuve, & gagna le bois d’Odomez.

Arrivé au carrefour le plus sombre, il grimpa à un chêne, s’assit sur la première branche, attacha solidement la corde & se la passa autour du cou. Cela fait, il releva la tête, & il allait sauter le pas, quand il s’arrêta soudain.