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les sentiers pour aller m’asseoir sur les bords du rapide où j’ai passé des heures enchanteresses avec ma Rose ; et toujours les yeux fermés, je retrouverais, j’en suis certain, l’emplacement de la cabane et mon pied saurait me conduire sur les racines de l’arbre qui a reçu, avec les derniers coups de couteau creusant l’écorce, les derniers soupirs de nos cœurs qui s’éloignaient à regret d’un si doux endroit. Je serais comme l’aveugle qui se reconnaît partout où il a coutume de vivre. J’ai tant de fois depuis parcouru en esprit, tant de fois vu par les yeux de la mémoire ce bois avec ses sentiers, qu’il me serait facile d’en refaire le plan et de lui donner son ancienne physionomie, quand même la hache, la charrue ou la main de l’homme l’auraient abattu, bouleversé, creusé, et recouvert d’élégantes villas. Ma mémoire est vraiment prodigieuse pour retracer les lieux que j’ai une fois vus, même dans ma tendre jeunesse et ma première enfance. Partout où j’ai vécu, ne fût-ce que quelques jours, partout où même je n’ai fait que passer, j’ai laissé quelque chose de moi-même, ou j’en ai apporté quelque chose : un brin d’herbe arraché, une feuille tombée, une fleur coupée de sa tige, une branche brisée, un caillou dans le sentier, le murmure d’un ruisseau, le souffle de la brise, le vent qui mugit, la tempête qui gronde, l’éclair qui décrire la nue, une odeur, un parfum, une parole, un chant me rappellent des jours, des instants, des lieux, des personnes, des parents, des amis, des compagnons. Trop souvent, hélas ! je vis dans le passé ; j’oublie le présent, et je me soucie peu de l’avenir.

Nous revînmes, Rose-Alinda et moi, auprès de nos