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L’AMOUR NE MEURT PAS

L’Angélus du midi carillonnait ; les sirènes des filatures jetaient leurs cris perçants ; la clochette du repas appelait au dîner. Le son grave de la cloche de l’église, les bruits stridents des sirènes et la voix claire de la sonnette de la pension me tirèrent de ma rêverie. Je déposai sur ma table le livre qui m’avait enlevé plus d’espérance qu’il ne m’avait donné de consolation. Je laissai mes appartements et j’entrai dans la salle à manger assez spacieuse et déjà remplie de ses pensionnaires. Tous les regards se tournèrent vers moi avec une curiosité non déguisée quand la maîtresse de pension me conduisit à la place que je devais occuper pendant quelques mois. J’étais à la première table, tout au bout et bien en vue. J’aurais préféré n’importe quelle autre place, dans un petit coin, à l’ombre d’une colonne ou derrière un paravent. Le souvenir de ma gêne et de mon embarras m’est resté bien vivace dans la mémoire. J’avais été placé au bout de la table par une attention toute particulière de la maîtresse de pension qui voulait me faire connaître rapidement tous ses hôtes, jeunes filles et jeunes garçons employés dans les filatures ou les magasins. Mais je me souciais peu de conter fleurette aux jeunes filles et de lier de longues conversations avec les jeunes garçons ; j’avais trop hâte, le repas fini, de rentrer dans mon bureau, pour y reprendre mes livres et mes lettres d’amour, mes méditations ou mes rêves. Je croyais que tout instant, dérobé à mes études ou à ma Rose, était un vol dont j’étais responsable à la science ou à l’amour.

J’avais résolu de tenir un journal, le journal de mes