Page:Destutt de Tracy - Quels sont les moyens de fonder la morale chez un peuple ?.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une vérité qui ne souffrît jamais d’exception, par cela seul les plus grands maux de l’humanité seraient anéantis. Les vrais soutiens de la société, les solides appuis de la morale sont donc les suppôts et les exécuteurs des lois, Ce sont ceux chargés d’arrêter les coupables, de les garder, de constater leurs délits, de prononcer la peine qui doit les suivre. Je me permettrai quelques réflexions sur chacun d’eux.

Arrêter les malfaiteurs est une fonction estimable parce qu’elle est utile, mais elle n’a rien de brillant, On ne peut s’y dévouer par enthousiasme ; il faut qu’elle procure un état avantageux, elle expose à la plus dangereuse des haines, celle des méchans cachés ; il faut que cet état soit solide, et que la malignité ne puisse pas le faire perdre aisément. Elle est pénible, elle est périlleuse ; il faut qu’on trouve son intérêt à la bien remplir, et que le gendarme soit récompensé à proportion de ses captures. Mais cette situation d’être toujours occupé à nuire à des hommes bien que coupables, et de fonder son profit sur leur malheur, ne peut manquer à la longue d’émousser la sensibilité, la pitié, ces deux précieux sentimens de l’homme, source de tous ses bons mouvemens, et qui sont pour ainsi dire l’instinct de la vertu. La moralité du gendarme est donc plus exposée à se corrompre que celle de bien d’autres citoyens ; il faut qu’il soit contenu par la dépendance de ses supérieurs, et soutenu par leur estime ; il faut qu’il ait long-tems les mêmes pour en être connu, et avoir le besoin d’en être connu avantageusement ; il faut enfin que ce grand corps, la gendarmerie nationale, ait une organisation constante, un ordre d’avancement invariable, et qu’il soit dans la main d’un seul