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presque tout le monde soit dans la gêne, où toutes les fortunes soient élevées ou détruites d’hier, où nulle existence ne soit assurée, nulle réputation intacte, et où personne n’habite son domicile ordinaire ; et faites-vous une idée, si vous le pouvez, de sa profonde indifférence pour vos écoles et vos fêtes, et de leur complette inutilité.

Supposez au contraire un peuple dans les circonstances que j’ai décrites ci-dessus, qui l’ont rendu laborieux, modeste, sensé, heureux, jouissant de l’aisance ; doutez vous que le besoin d’instruction et de plaisirs communs tarde à s’y manifester ? Des fêtes publiques, il en établira. Des écoles, il en désirera. Des particuliers estimés en ouvriront ; il y courra, les payera, et en profitera. Alors le trésor public dans l’aisance suppléera à une partie des frais, soit pour les cantons les plus pauvres, soit pour les genres d’enseignement les plus dispendieux. Par-tout où il serait obligé de tout payer, c’est une preuve certaine qu’il n’y aurait pas même assez d’aisance pour profiter des leçons gratuites. Ce seraient autant de dépenses perdues, et le secours le plus efficace que les gouvernans puissent donner aux gouvernés, est toujours l’argent qu’ils évitent de leur enlever.

Cependant si les lois font les citoyens, ce sont les législateurs qui font les lois : et j’ai dit que, pour les faire bonnes, il fallait qu’ils possédassent la théorie méthodique de la morale domestique et sociale. Il faut donc pour se former qu’ils aient des moyens d’acquérir cette théorie, de l’approfondir, et de la dégager des erreurs qui l’obscurcissent et des préjugés qui la voilent. Mais cela ne suffit pas encore. Je ne dois