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que c’est cette diversité qui constitue celle des caractères ; et que sans que nous nous en appercevions, chaque homme a son système de morale qui lui est propre, ou plutôt un amas confus d’idées sans suite, qui ne mérite guères le nom de système, mais qui lui en tient lieu.

D’après cet exposé, il semblerait que tout ce que l’on peut faire pour rendre toutes ces opinions plus concordantes et plus justes, pour fonder une morale plus saine et plus certaine, se réduirait à en multiplier et à en perfectionner, le plus possible, l’enseignement direct. Cependant je suis bien éloigné d’en tirer cette conclusion. J’observerai : 1.o que sur la masse totale d’un peuple, très-peu d’hommes ont le temps et la volonté de suivre un long cours d’instruction. 2.o Il en est encore moins qui aient la capacité de saisir et de retenir un vaste système d’idées bien liées. 3.o Heureusement dans la société il n’y a guères que le législateur qui soit obligé de posséder toutes les parties de la morale suivant un ordre si méthodique et par des déductions si rigoureuses,

    arrive que la manie des hypothèses domine la physique dans les temps d’ignorance, et subjugue encore plus la métaphysique comme encore moins connue. De-là sont nées toutes les suppositions gratuites des spiritualistes et tous les rêves de la philosophie platonicienne qui brouillent encore beaucoup de têtes en les transportant au-delà des bornes du connu, pour les faire errer jusqu’aux limites du possible. Et ces rêves disparaissent graduellement à mesure que les progrès de la physique augmentant la masse de ce qui est connu, nous donnent le courage de consentir à ignorer ce qui est au-delà, et nous dégoûtent de chercher à le deviner.