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savons pas, ou nous n’osons pas. Nous parlions l’autre jour du Président de Château-Thierry : ce qui m’a beaucoup frappé, à la lecture du volume ayant recueilli sa jurisprudence, c’est que toutes ses sentences, d’allure révolutionnaire, sont déduites de considérants qui respectent fidèlement le cadre formel de la législation actuelle.

Il invoque pour absoudre les mêmes textes que nous eussions invoqués pour condamner. Et ses déductions sont sinon logiques, du moins plausibles. Les nôtres sont-elles indiscutables ? Ne nous trompons-nous jamais ?

— Je ne le prétends point. Mais la loi a prévu nos erreurs en instituant l’appel.

— Ah ! la belle garantie, vraiment ! Mais vous n’avez donc jamais assisté à une audience de la Cour ? L’affaire y arrive glacée, figée dans les grimoires ; c’est sur les documents suspects de l’instruction écrite, sur le plumitif d’audience, document plus suspect encore, puisqu’il est l’œuvre hâtive et non contradictoire d’un employé subalterne, que le conseiller rapporteur se fait son opinion. Au jour fixé, il vient lire d’une voix monotone et ennuyée toutes les pièces, en soulignant parfois d’un éclat de voix quelque passage qui lui paraît accablant pour le prévenu. Lecture fastidieuse, imbécile, qui fait partie des traditions acceptées par tous ! Personne n’écoute et ne suit ces murmures inintelligibles. On perd une demi-heure, une heure à cette lente mise en train, et l’instant d’après, s’il s’agit de réentendre un témoin, la Cour y opposera une sourde résistance, invoquera avec entêtement la déposition écrite, prétextera du manque de temps. Pourquoi chacun des conseillers ne prend-il pas la peine d’étudier le dossier ?