Page:Destrée - Le Secret de Frédéric Marcinel, 1901.pdf/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50 —

naires, recherchait maintenant la conversation de son assesseur et goûtait un étrange plaisir à l’entendre reviser, bouleverser et ruiner les notions qu’il avait si longtemps acceptées en aveugle. Il se sentait constamment révolté, puis constamment attiré par ces théories si opposées à sa manière de penser. Ces conversations le désorientaient, mais il y trouvait un charme bizarre et sans cesse renouvelé, une sorte de réconfort et de rajeunissement. Le juge, de son côté, était tout heureux d’avoir trouvé, dans ce morne palais de justice, un auditeur qui ne fût point indifférent et réfractaire aux conceptions générales, un homme qui avait beaucoup vu et beaucoup observé, avec qui on pouvait converser d’autre chose que de la bise qui soufflait, de l’affaire G… ou de l’ennui sans limites que versait la faconde prétentieuse de Maître X… Il s’amusait à disserter, intéressé lui-même par les images imprévues qu’évoquait le discours ; il étudiait, en outre, son partenaire avec la plus vive curiosité, car plus il connaissait le président Louvier, plus il lui paraissait inexplicable que ce magistrat eût pu prononcer la parole grave qui s’inscrivait au seuil du souvenir de leurs confidences.

L’une des convictions fondamentales du président était, en effet, que le devoir du juge est l’application de la loi. Il s’était fait de cet axiome une règle de vie. Si la loi était stupide, barbare, ridicule, c’était au législateur à la modifier, non au juge pour qui elle devait être intangible et sacrée. Il avait pour la loi un respect absolu. Il n’admettait qu’en dehors du prétoire, — et encore ! — les observations ou les critiques qui pouvaient énerver la force obligatoire des textes. Jacquard, au contraire, ne se sentait