Page:Destrée - Le Secret de Frédéric Marcinel, 1901.pdf/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 27

tyrannie intolérable. La contrainte exercée par la loi sur les individus n’est admissible qu’en raison des services qu’elle leur rend. Quand, au lieu de les aider, elle les charge d’entraves, elle doit disparaître. J’aime mieux pas de lois du tout que des lois mauvaises ou mal appliquées.

— Comment, mal appliquées ?

— Sans doute. Dans bien des cas, le législateur a laissé au juge une fort grande liberté d’appréciation. Or, la majorité des magistrats ont peur d’user de cette liberté. Ils croient de leur devoir d’appliquer la loi, docilement, littéralement, en ses interprétations les plus étroites. Ils redoutent toute initiative, suivent servilement les traditions consacrées et les jurisprudences établies. Leur office se limite à peser, avec plus au moins de minutie et d’habileté, les éléments favorables et défavorables et à appliquer un texte au résultat de l’opération. Ils agissent ainsi, comme un mathématicien agirait pour des nombres, avec une grande conscience, mais sans laisser parler leur sensibilité. Parmi ces juges, en est-il qui songent qu’ils se trouvent en présence non pas d’entités théoriques et abstraites, mais en présence d’un homme comme eux sur la destinée duquel ils vont pouvoir agir ?

En est-il qui se soient dit que si leur influence ne pouvait être féconde, leur intervention n’était qu’un attentat contre la liberté d’autrui ?

En est-il qui s’inquiètent des enfants, de la femme, de tous les innocents et irresponsables que leur décision va atteindre ?

En est-il qui aient aimé le prévenu comme un frère et aient cherché avec bonté à lui être secourable ?