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solution manifestement absurde, contraire à toute équité, mais paraissant conforme aux textes et aux auteurs, il s’écriait triomphalement que c’était du Droit et n’hésitait pas à s’y rallier. Quand il avait accueilli une prescription invoquée par un débiteur de mauvaise foi, annulé une procédure longue et coûteuse, débouté un demandeur intéressant n’ayant pas fait toute sa preuve, il n’avait pas un instant la pensée que la loi n’exigeait pas nécessairement une telle rigueur ; il n’avait point de souci ni de remords, ne soupçonnant même pas qu’il avait pu consacrer une injustice. De même, en matière correctionnelle, les innocents lui semblaient bien invraisemblables, les témoins accusateurs lui paraissaient péremptoires et infaillibles, les témoins à décharge suspects et vaguement complices, et les agents de l’autorité ne pouvaient ni se tromper ni mentir. Ce fut lui qui proféra un jour ce propos mémorable : « Le tribunal n’admet point qu’un commissaire de police puisse rapporter inexactement les déclarations qui lui sont faites. » Jamais il n’eût osé acquitter quand le fait était établi : il était un peu honteux que la magistrature comptât dans ses rangs un juge comme celui de Château-Thierry, dont il trouvait les sentences excentriques et subversives. Habitué à appliquer servilement la loi, il n’admettait guère que cette loi pût être modifiée. Toute innovation lui semblait périlleuse et il fut un des derniers à se résoudre à appliquer la condamnation conditionnelle. Il était profondément honnête et impartial et nul, à prix d’or, n’eût acheté sa conscience, mais il suffisait d’être de son opinion politique pour être considéré avec bienveillance. Il admettait qu’on fît au gouvernement une opposition modérée, mais